lundi 13 octobre 2014

Exilés, réfugiés, migrants, quelles différences ?

Complément à l'article MIGRATOIRES, posté antérieurement

J’assistais tantôt à une conférence sur le thème de la frontière. On m’avait proposé de venir pour une table ronde, sur l’éventualité d’une « communauté exilique ». Déjà le titre : perplexe, une vague idée de ce dont il pouvait s’agir. Des interventions d’universitaires, assauts de brillance, de mots qui rebondissent, abscons souvent, name dropping en pagaille, Derrida, Deleuze, beaucoup dont j’ignore tout, et « je renvoie les lecteurs de Hannah Arendt à … ». J’ai eu de la chance, je ne me suis pas fait renvoyer.

Mon malaise majeur néanmoins est venu de ce qui m’a semblé une confusion de termes, exilé, immigrant, clandestin, réfugié, etc. chez ces littéraires qui m’ont semblé oublier l’injonction de Mallarmé (plusieurs fois cité) : « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Mallarmé s’adressait il est vrai aux poètes.
Mais est-ce bien clair pour moi aussi ? D’autant que les mots ont une épaisseur, une histoire, et que certaines acceptions renvoient à différents niveaux de réalité. Essayons, dans la perspective d’une réflexion pour une politique migratoire. Etat des lieux.

Pour moi un exilé c’est celui qui ne peut rentrer dans son propre pays car il y perdrait sa liberté, voire sa vie, il y encourt arrestation, nommément. J’ai envie de prendre comme exemple, puisqu’il est mort voilà très peu, Jean-Claude Duvallier, l’ancien dictateur d’Haïti – parce que parmi les exilés, il n’y a pas que des gentils. Ils trouvent un pays d’accueil, y obtiennent le statut de réfugié (attention à l’ambiguïté des mots), ils ne peuvent rentrer chez eux. C’est le cas des grandes figures de l’exil, dans le passé comme au présent. Trotsky, de nombreux Chiliens à la chute d’Allende, les ressortissants de l’Est aux temps soviétiques. Souvent des personnalités, des responsables, individualisés. A donner des exemples, on voit aussi des cas où l’exil est volontaire, résultant d’une impossibilité ressentie à vivre chez soi, sous un régime oppressant. Hugo. En général, l’enfermement viendrait au retour. On rentre, parfois avec honneur, quand la situation se renverse.

Le réfugié relève d’un autre profil. Il est en masse. Il fuit, avec quantité d’autres, une situation où il estime courir un danger, être sous la menace. Il se sauve. Sa fuite l’emmène le plus souvent dans un pays voisin (parfois même dans son propre pays, en cas de conflit interne).
La réponse apportée au phénomène est la création de camps, sous l’égide le plus souvent des Nations Unies, qui ont un Haut Commissariat (UNHCR) qui s’y consacre. Ils ont établi le camp de Dadaab au nord Kenya, près de la frontière, qui rassemble près d’un demi-million de Somaliens à ce jour. A certains égards, on est proche de la crise humanitaire, résultant d’un cataclysme. De vastes mouvements de populations, installées à l’abri, pour des durées imprévisibles.
C’est dans un second temps que le réfugié redevient individu. Quand, à titre individuel, et pour une petite minorité seulement, ils déposent des demandes d’asile auprès d’autres pays. Cette partie sort du camp, on dirait par le haut, et partage avec les exilés le statut de réfugié quand ils sont acceptés par un pays d’accueil. Les autres attendent, le retour comme horizon, la fin du conflit, le changement ou l’évolution du régime, que cesse ce qui les a fait fuir. Le camp s’autonomise, échappe au contrôle des autorités du pays d’accueil et de l’ONU, s’enkyste. Ce sont les réfugiés hutus  dans l’est RDCongo, les camps de Somaliens au Kenya, noyautés par les Shebabs. Ce sont les camps des Palestiniens au Liban, depuis 1946. Rares sont les exemples d’intégration dans le pays d’accueil.  Combien de temps cela a-t-il pris, en France, pour les Républicains réfugiés de la guerre d’Espagne ?

Et puis il y a les migrants – émigrés d’un côté, immigrés de l’autre, souvent en danger au milieu. Dans leur cas, pas de péril grave ou immédiat, mais une impérieuse nécessité ressentie, désir d’ailleurs où tout est possible quand ici est bouché, que les rêves y sont étroits (« Là-bas » de J.J.Goldman dit tout à ce sujet), pression du groupe, phénomène du cadet, etc. Impérieuse nécessité, qui peut aller jusqu’au rien à perdre, risquer tout, « no future », jusqu’à sa vie. Si leur nombre fait masse, leur migration relève de la décision individuelle.
Qu’advient-il d’eux ? Certains immigrent légalement, sont dotés d’un titre de séjour, permettant le travail. Tout se passe bien jusqu’au renouvellement, qui se fait ou pas. D’autres arrivent avec un visa touristique, obtenu très normalement ou par acrobatie, et plongent dans la clandestinité à son expiration. D’autres enfin entrent illégalement, par toutes sortes de chemins, grâce à toutes sortes de fricoteurs et aigrefins.
C’est alors la galère de la clandestinité, la précarité et l’exploitation tous azimuts. On s’impose aux « frères » qui accueillent, on s’expose sans défense à la rapacité de patrons peu regardants et des mêmes « frères » qui prêtent leurs papiers quand on parvient à trouver un travail. En attendant le bout du tunnel, une régularisation hypothétique de moins en moins probable. Ou l’arrestation et l’expulsion.
Certains sont demandeurs d’asile. Ils se déclarent dans le pays d’arrivée, bâtissent un dossier souvent bancal en invoquant une raison plausible. Peu finissent par se voir décerner le statut ô combien envié de réfugié, au bout de mois d’instruction de dossiers qui auront créé parfois des situations irréversibles (un travail stable, une relation affective pas toujours blanche, un enfant né. Ils auront eu un répit, à l’abri de l’expulsion pour un temps. Comment faire le tri, séparer le « bon » menacé du « méchant » migrant économique. D’autant que tenter sa chance ailleurs n’a rien d’infâmant.
Après tout, ils n’ont rien de différent, ces migrants économiques, de tous ceux qui autour de voilà 100 ans quittaient leur village, leur pauvre famille, attirés par les pôles urbains et industriels. Exode rural. A ceci près que cela se passait alors dans les frontières de l’Etat-nation, issu des Révolutions du XIXe. C’est mon grand-père qui a quitté le Champsaur pour aller faire le cheminot à Grenoble. Et que cela se passe aujourd’hui à travers des frontières. Comme mon autre grand-père qui a quitté le Piémont pour venir à Aix. Il s’agit aujourd’hui des frontières issues de la décolonisation qui apparaît alors comme un marché de dupes, frontières  que ces migrants ignorent – révélant au passage leur réalité d’exclusion. Ils savent, aux, que nous sommes globalisés.
Au passage, ces migrants peuvent eux aussi souffrir du sentiment d’exil – même si rien ne les empêche de rentrer – vivre dans la douleur l’éloignement, le déchirement entre deux cultures ou univers. Ce sont des exilés affectivement, non statutairement.

Pour autant, que faire dès lors, car il convient là aussi de traiter avec générosité et justice, mais aussi rigueur une situation qui dérape et sape notre « vivre-ensemble », expression à la mode. Si mes distinctions sont fondées, il faut les faire vivre. Dans le cadre d’une politique du « Accueillir largement, expulser résolument », cela exigerait une redéfinition du statut de réfugié, ou tout au moins de son mode d’attribution (clarification des critères, modalités du dépôt de la demande, rapidité de la décision – moins de deux mois, ça existe, je l’ai rencontré). Le flou actuel le met en danger, propice par effets pervers à l’injustice et aux abus. Là encore, la générosité, la vraie solidarité vont avec de la rigueur.


Remarque subsidiaire, pas encore approfondie, exploratoire : faut-il que les problèmes de migration relèvent de la justice ? Ne conviendrait-il pas de décriminaliser (est-on criminel quand on se met en situation irrégulière ?), de décharger les tribunaux ? Des juridictions spécialisées – comme on a les prud’hommes pour le travail, ou les tribunaux de commerce – pourraient être envisagées, où pourquoi pas inclure jurés populaires, acteurs sociaux, représentants d’immigrés. Mais à manier avec des pincettes. Comme l’idée d’un grand ministère des Migrations/Intégration/etc., qui sortirait la question de l’Intérieur dont l’approche est fatalement policière. Même si l’expérience sarkozyste a montré la possible dangerosité de la chose.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire