mardi 18 août 2015

Les Séolanes





Elles se dressent, les trois, alignées.  Lignes pures, régulières.. Le cône, les pics, le dôme. Des exemples pour livre de géographie.  Elles dominent, se détachent sur le ciel bleu. Leur silhouette imprègne mes paysages d’enfance.

Elles barrent l’horizon de qui a pénétré dans  la vallée de l’Ubaye. Ce n’est qu’après avoir passé leur pied, vers la Fresquière, qu’elle s’élargit, s’évase en un vaste cirque ourlé de hautes montagnes. Mais ça c’est après les Séolanes. Avant, c’est étroit, les deux pentes d’adret et d’ubac plongent vivement vers le fond où remoue l’Ubaye, entre trous à truites et mini chutes, entre rapides et faux repos, rejointe de cascades. Car si les Séolanes la ferment en amont, la vallée est aussi cadenassée par des gorges serrées qu’a creusées la rivière, changeant jadis son cours en laissant un lac lamartinien où se reflètent les trois belles. Là où la vallée s’achève, là bas en aval où on rejoint le domaine de la Durance, les deux versants en V prononcé forment ce qu’on appelle le Trou de Madame, qui a le profond avantage d’annoncer la pluie quand il est bouché. On ne parle pas ici de dépression.
Le lac du Lauzet, et les Séolanes (photo Geneviève Bertrand)

Donc, entre Le Lauzet et le Martinet, l’univers est clos, un cocon, vert hérissé moussu de conifères sombres côté ubac, tandis que le soleil caresse les roches quasi dénudées, les pousses éparses d’arbres
Les mêmes, l'hiver (photo GB)
rabougris, de broussailles accrochées à la pente. Quelque chose comme une Vallée Perdue, pour reprendre le titre de ce film méconnu, qui narre comment, pendant la guerre de Trente ans, des troupes ennemies s’étaient retrouvées coincées par l’hiver dans une vallée et avaient dû vaille que vaille composer, entre elles et avec les quelques villageois, survivre et coexister car c’est possible, avant de repartir guerroyer chacun de son côté, les neiges fondues.

Car il y a aussi un passé de bataille dans cette Ubaye. Le petit hameau au bord d’un torrent, même pas au bord de la route, là où j’ai passé toutes mes jeunes vacances se nomme Champanastaïs, le Camp d’Anastasius, qui  avait établi ses quartiers un moment, et qui a laissé son nom. Je n’ai jamais rien su ni cherché de plus sur ce général. Romain ? ou Carthaginois des guerres puniques ? J’aime imaginer des éléphants sur ces pentes, broutant l’herbe où j’ai gardé les vaches avec les paysans du hameau.

Les Séolanes, vues de Barcelonnette
Mais revenons aux Séolanes, et à leurs messages. J’ai souligné la pureté de leur dessin, vues de l’ouest. Si on les dépasse, une fois dans le haut de la vallée, ce ne sont plus qu’une ligne de crêtes informes, on ne les distingue même plus, amorphes elles sont. Ainsi en va-t-il parfois en politique. D’ailleurs, campant sur certains points de vue, on ne distingue pas que ce qui apparaît comme une masse de mesures désordonnées, informes et disparates peut, sous le bon angle, se révéler un dessein.