lundi 13 octobre 2014

Exilés, réfugiés, migrants, quelles différences ?

Complément à l'article MIGRATOIRES, posté antérieurement

J’assistais tantôt à une conférence sur le thème de la frontière. On m’avait proposé de venir pour une table ronde, sur l’éventualité d’une « communauté exilique ». Déjà le titre : perplexe, une vague idée de ce dont il pouvait s’agir. Des interventions d’universitaires, assauts de brillance, de mots qui rebondissent, abscons souvent, name dropping en pagaille, Derrida, Deleuze, beaucoup dont j’ignore tout, et « je renvoie les lecteurs de Hannah Arendt à … ». J’ai eu de la chance, je ne me suis pas fait renvoyer.

Mon malaise majeur néanmoins est venu de ce qui m’a semblé une confusion de termes, exilé, immigrant, clandestin, réfugié, etc. chez ces littéraires qui m’ont semblé oublier l’injonction de Mallarmé (plusieurs fois cité) : « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Mallarmé s’adressait il est vrai aux poètes.
Mais est-ce bien clair pour moi aussi ? D’autant que les mots ont une épaisseur, une histoire, et que certaines acceptions renvoient à différents niveaux de réalité. Essayons, dans la perspective d’une réflexion pour une politique migratoire. Etat des lieux.

Pour moi un exilé c’est celui qui ne peut rentrer dans son propre pays car il y perdrait sa liberté, voire sa vie, il y encourt arrestation, nommément. J’ai envie de prendre comme exemple, puisqu’il est mort voilà très peu, Jean-Claude Duvallier, l’ancien dictateur d’Haïti – parce que parmi les exilés, il n’y a pas que des gentils. Ils trouvent un pays d’accueil, y obtiennent le statut de réfugié (attention à l’ambiguïté des mots), ils ne peuvent rentrer chez eux. C’est le cas des grandes figures de l’exil, dans le passé comme au présent. Trotsky, de nombreux Chiliens à la chute d’Allende, les ressortissants de l’Est aux temps soviétiques. Souvent des personnalités, des responsables, individualisés. A donner des exemples, on voit aussi des cas où l’exil est volontaire, résultant d’une impossibilité ressentie à vivre chez soi, sous un régime oppressant. Hugo. En général, l’enfermement viendrait au retour. On rentre, parfois avec honneur, quand la situation se renverse.

Le réfugié relève d’un autre profil. Il est en masse. Il fuit, avec quantité d’autres, une situation où il estime courir un danger, être sous la menace. Il se sauve. Sa fuite l’emmène le plus souvent dans un pays voisin (parfois même dans son propre pays, en cas de conflit interne).
La réponse apportée au phénomène est la création de camps, sous l’égide le plus souvent des Nations Unies, qui ont un Haut Commissariat (UNHCR) qui s’y consacre. Ils ont établi le camp de Dadaab au nord Kenya, près de la frontière, qui rassemble près d’un demi-million de Somaliens à ce jour. A certains égards, on est proche de la crise humanitaire, résultant d’un cataclysme. De vastes mouvements de populations, installées à l’abri, pour des durées imprévisibles.
C’est dans un second temps que le réfugié redevient individu. Quand, à titre individuel, et pour une petite minorité seulement, ils déposent des demandes d’asile auprès d’autres pays. Cette partie sort du camp, on dirait par le haut, et partage avec les exilés le statut de réfugié quand ils sont acceptés par un pays d’accueil. Les autres attendent, le retour comme horizon, la fin du conflit, le changement ou l’évolution du régime, que cesse ce qui les a fait fuir. Le camp s’autonomise, échappe au contrôle des autorités du pays d’accueil et de l’ONU, s’enkyste. Ce sont les réfugiés hutus  dans l’est RDCongo, les camps de Somaliens au Kenya, noyautés par les Shebabs. Ce sont les camps des Palestiniens au Liban, depuis 1946. Rares sont les exemples d’intégration dans le pays d’accueil.  Combien de temps cela a-t-il pris, en France, pour les Républicains réfugiés de la guerre d’Espagne ?

Et puis il y a les migrants – émigrés d’un côté, immigrés de l’autre, souvent en danger au milieu. Dans leur cas, pas de péril grave ou immédiat, mais une impérieuse nécessité ressentie, désir d’ailleurs où tout est possible quand ici est bouché, que les rêves y sont étroits (« Là-bas » de J.J.Goldman dit tout à ce sujet), pression du groupe, phénomène du cadet, etc. Impérieuse nécessité, qui peut aller jusqu’au rien à perdre, risquer tout, « no future », jusqu’à sa vie. Si leur nombre fait masse, leur migration relève de la décision individuelle.
Qu’advient-il d’eux ? Certains immigrent légalement, sont dotés d’un titre de séjour, permettant le travail. Tout se passe bien jusqu’au renouvellement, qui se fait ou pas. D’autres arrivent avec un visa touristique, obtenu très normalement ou par acrobatie, et plongent dans la clandestinité à son expiration. D’autres enfin entrent illégalement, par toutes sortes de chemins, grâce à toutes sortes de fricoteurs et aigrefins.
C’est alors la galère de la clandestinité, la précarité et l’exploitation tous azimuts. On s’impose aux « frères » qui accueillent, on s’expose sans défense à la rapacité de patrons peu regardants et des mêmes « frères » qui prêtent leurs papiers quand on parvient à trouver un travail. En attendant le bout du tunnel, une régularisation hypothétique de moins en moins probable. Ou l’arrestation et l’expulsion.
Certains sont demandeurs d’asile. Ils se déclarent dans le pays d’arrivée, bâtissent un dossier souvent bancal en invoquant une raison plausible. Peu finissent par se voir décerner le statut ô combien envié de réfugié, au bout de mois d’instruction de dossiers qui auront créé parfois des situations irréversibles (un travail stable, une relation affective pas toujours blanche, un enfant né. Ils auront eu un répit, à l’abri de l’expulsion pour un temps. Comment faire le tri, séparer le « bon » menacé du « méchant » migrant économique. D’autant que tenter sa chance ailleurs n’a rien d’infâmant.
Après tout, ils n’ont rien de différent, ces migrants économiques, de tous ceux qui autour de voilà 100 ans quittaient leur village, leur pauvre famille, attirés par les pôles urbains et industriels. Exode rural. A ceci près que cela se passait alors dans les frontières de l’Etat-nation, issu des Révolutions du XIXe. C’est mon grand-père qui a quitté le Champsaur pour aller faire le cheminot à Grenoble. Et que cela se passe aujourd’hui à travers des frontières. Comme mon autre grand-père qui a quitté le Piémont pour venir à Aix. Il s’agit aujourd’hui des frontières issues de la décolonisation qui apparaît alors comme un marché de dupes, frontières  que ces migrants ignorent – révélant au passage leur réalité d’exclusion. Ils savent, aux, que nous sommes globalisés.
Au passage, ces migrants peuvent eux aussi souffrir du sentiment d’exil – même si rien ne les empêche de rentrer – vivre dans la douleur l’éloignement, le déchirement entre deux cultures ou univers. Ce sont des exilés affectivement, non statutairement.

Pour autant, que faire dès lors, car il convient là aussi de traiter avec générosité et justice, mais aussi rigueur une situation qui dérape et sape notre « vivre-ensemble », expression à la mode. Si mes distinctions sont fondées, il faut les faire vivre. Dans le cadre d’une politique du « Accueillir largement, expulser résolument », cela exigerait une redéfinition du statut de réfugié, ou tout au moins de son mode d’attribution (clarification des critères, modalités du dépôt de la demande, rapidité de la décision – moins de deux mois, ça existe, je l’ai rencontré). Le flou actuel le met en danger, propice par effets pervers à l’injustice et aux abus. Là encore, la générosité, la vraie solidarité vont avec de la rigueur.


Remarque subsidiaire, pas encore approfondie, exploratoire : faut-il que les problèmes de migration relèvent de la justice ? Ne conviendrait-il pas de décriminaliser (est-on criminel quand on se met en situation irrégulière ?), de décharger les tribunaux ? Des juridictions spécialisées – comme on a les prud’hommes pour le travail, ou les tribunaux de commerce – pourraient être envisagées, où pourquoi pas inclure jurés populaires, acteurs sociaux, représentants d’immigrés. Mais à manier avec des pincettes. Comme l’idée d’un grand ministère des Migrations/Intégration/etc., qui sortirait la question de l’Intérieur dont l’approche est fatalement policière. Même si l’expérience sarkozyste a montré la possible dangerosité de la chose.

mercredi 1 octobre 2014

Migratoires - "Accueillir largement, expulser résolument"

Une politique de gauche de l’immigration s’énoncerait ainsi.

Ce qui suit est un condensé, chaque paragraphe est à développer – pour débattre.

Préambule :    De quoi sera faite la honte de demain

La mort des migrants – en mer ou en chemin – sera demain une honte comme l’esclavage ou l’holocauste. La mort n’arrête pas le migrant. Comment sortir, à gauche ou avec progressisme, du dilemme : fermeture/portes grandes ouvertes ?

Le monde est désormais un village. Lieu commun. Or, la plupart ne jouissent pas d’un des droits de l’homme fondamentaux : la liberté de circulation. Les pays riches se claquemurent, s’entourent de palissades, de barrières. Empêchent l’entrée chez eux. Obtenir un visa est une gageure. Alors on est prêt à tous les moyens, on risque sa vie, par dizaines de milliers.
On cloue au pilori les esclavagistes, les collabos associés aux rafles des Juifs, les organisateurs et spectateurs des expositions coloniales. N’en doutons pas : le seront demain ceux qui seront associés au rejet des migrants, causant ainsi les morts par centaines en mer, dans les déserts, ailleurs encore.
On le voit. La mort ne décourage pas.
Les barrages sont vains, et les migrants seront toujours plus nombreux à venir s’y fracasser. Pour se protéger des candidats à l’immigration, on interdit la circulation à ceux qui veulent voir le monde, et qui s’en trouvent meurtris. Faut-il s’entêter à espérer faire cesser ces vagues ? Ou plutôt se demander : qu’est-ce qui pourrait permettre le flux des populations mais tarir l’immigration clandestine ?
En clair : que peut être une politique de gauche des migrations ?

Avant-propos : Faire des migrants des atouts pour le pays.

D’abord, il est impératif de prendre en charge dignement les arrivants. Statuer rapidement sur leurs demandes et appliquer les décisions. Trouver la bonne manière de les accueillir, selon une hospitalité attentive et adaptée, avec un personnel formé à ces modalités. Faciliter leur insertion dans la vie de la société. Autant d’objectifs que pouvoirs publics et associations doivent se donner ensemble.

Il y a d’abord l’impératif premier : prendre en charge dignement les arrivants. Qu’ils arrivent régulièrement ou en forçant la porte. Je ne développerai pas ici ce que signifie prendre en charge, à l’arrivée avec parfois des situations d’urgence, pendant le traitement de la situation en cas de demande de titre de séjour (au titre de demandeur d’asile ou autre), pendant une période d’adaptation dans tous les cas. Des mesures sont d’ores et déjà prises, qui vont dans le bon sens, mais certainement pas assez loin. Sans entrer dans le détail, quelques grandes lignes directrices, et plusieurs points.
Le traitement des dossiers des nouveaux arrivés gagne à être rapide. Faire perdurer des situations d’attente - dans bien des cas inutilement, un premier examen (je n’ai pas peur du mot « tri ») pouvant déjà permettre de décider de beaucoup de situations, tandis que d’autres peuvent nécessiter plus de temps – faire perdurer donc crée tensions, frustrations, confusion. Cela enkyste un état de fait, et brouille le message d’accueil régulé. Certaines postures associatives, au juridisme pointilleux, sous prétexte de défense des intéressés, ont des effets néfastes y compris pour ces derniers.
Les migrants ne sont pas des criminels. Tout au plus sont-ils en contravention avec les règles d’entrée et de séjour sur le territoire. Ce qui est sanctionnable, notamment d’expulsion. Ce qui peut provoquer des réactions de refus, parfois violentes des intéressés, qui peuvent chercher à s’y soustraire. Il faut donc trouver la bonne mesure dans le comportement d’accueil, la bonne façon de faire, éventuellement différenciée. Il n’est pas sûr que le personnel de la police ou de l’Intérieur soit le mieux à même de remplir cette tâche, ou soit doté des moyens nécessaires. D’où la proposition, plus loin, d’une administration dédiée à cette question, devenue essentielle pour le pays, et appelée à être durable.
Pour illustrer ma pensée, cette lettre,
restée morte, que j'avais envoyée
à une édile des Alpes-de-Haute Provence  

Pendant la période d’attente qu’il soit statué, ou pendant la période d’adaptation d’un nouvel arrivant régulier – et de sa famille – pour lui permettre de s’insérer au mieux, il faut éviter la ghettoïsation, qui a créé tant de difficultés que nous connaissons. La dispersion dans des petites et moyennes agglomérations, voire dans des villages, est une voie à explorer systématiquement.* Le laisser-faire actuel et depuis toujours est largement responsable des regroupements communautaires nuisibles à l’intégration sous une apparence de facilité.
L’objectif recherché est la régularisation rapide s’il y a lieu (et sinon l’expulsion sans délai), et, dès après, l’insertion, avec un accompagnement substantiel et adapté à chaque cas (appui linguistique et culturel, voire enseignement de base si nécessaire, connaissance de l’environnement français, formation ou mise à niveau professionnelle, validation des acquis). Autant d’investissements indispensables pour une bonne intégration dans le tissu social et économique.

L'accueil des migrants est largement traité par beaucoup d’associations de très bonne volonté. Je me contenterai donc de souligner qu'il est de première importance pour la suite, pour une bonne intégration des arrivants et de la génération suivante, pour la cphésion sociale. Mon propos ici portera essentiellement sur la question des flux migratoires.

*Cela est beaucoup pratiqué par certains de nos voisins européens, comme j'en ai eu par hasard le témoignage (lire ici la note Kenya by train (4) Migrants).

Idée 1 : Barrage contre le Pacifique, rien n'empêche

La réponse de l’Europe : s’enfermer. On rejette ainsi les voyageurs de bonne foi. Cela n’empêche pas les entrées, qui forcent la porte par tous les moyens. La souffrance, le danger, la mort ne découragent pas.

L’Europe se protège derrière les limites de l’espace Schengen. Elle affine, depuis des années, ses critères d’accès. Les mailles du tamis se resserrent de plus en plus, selon la doctrine du « risque migratoire ». Pour obtenir un visa, quand on est ressortissant  d’un pays du Sud, c’est la croix et la bannière. Vous êtes jeune, oubliez. Vous n’avez pas de compte en banque bien rempli, oubliez. Vous n’avez pas … Comme rien ne distingue un candidat « à risque » qui se dissimule d’un autre, on interdit tout ou presque.
Quantité d’individus qui ont seulement envie d’aller découvrir le monde, de gens qui ont un peu réussi et veulent en profiter pour sortir de chez eux, ou pour aller visiter des membres de leur famille – se trouvent rejetés. Empêchés, car on ne sait jamais …
Ces mesures sont-elles pour autant efficaces ? A l’évidence, non.
D’une part, elles sont largement détournées. La corruption existe (même si elle est marginale) et bien des témoignages montrent qu’on peut acheter son visa, via des destinations détournées, mais les Consulats de France ne sont pas à 100% exempts. L’enjeu est tel !! Qui n’y mettrait le prix ?! Et une fois dans Schengen, on plonge dans la clandestinité. Mais il y a bien d’autres moyens. On peut produire un dossier impeccable, avec des relevés bancaires mirobolants – à Abidjan par exemple, mais certainement ailleurs, beaucoup – qui sont d’authentiques supercheries. Idem pour d’autres attestations nécessaires, exigées. La malice prend toujours les meilleurs dispositifs en défaut.
D’autre part, quand on ne peut entrer, même frauduleusement, par des voies légales, on force la porte. Franchissements clandestins de frontières terrestres poreuses des marges de l’espace Schengen,. Aventures en mer après de dramatiques traversées du Sahara : depuis le Maroc, la Tunisie, la Lybie. Pour un migrant embarqué, combien attendent sur la côte ? combien n’y sont même pas parvenus et sont restés en chemin ? On colmate, on empêche, ça s’infiltre quand même, à gros bouillons. Impossible tâche, qui ne peut aller que dans un crescendo dramatique, insupportable.

Idée 2 :             Une politique contre-productive

C’est inefficace et contre-productif. On rejette les « bien intentionnés », et les autres passent quand même. Cela crée du ressentiment chez tous, qui se sentent rejetés, victimes d’injustice. Cela crée de la haine, dans notre arrière-cour, et même chez nous. Cela favorise l’immigration clandestine : qui a la chance de passer reste, l’occasion ne se représentera plus. La politique actuelle est un échec complet. Que faire d’autre pour TARIR les flux ?

Toutes les mesures prises sont non seulement inefficaces (ou insuffisamment, de manière non satisfaisante), mais elles sont surtout contre productives.
Les candidats de bonne foi au voyage (sans intention de rester, il y en a !!! ) se voient rejeter et le vivent comme injustice, déni d’un droit simple. Les procédures de demande de visa sont exténuantes, humiliantes, coûteuses, très souvent pour rien. Sans explication compréhensible. Beaucoup d’ailleurs n’essaient même plus. La frustration est immense, à la mesure du rejet. On crée le ressentiment, dans des populations qui nous étaient favorables, avec qui nous avions tissé des liens historiques. Tout un crédit de sympathie – qui se traduit aussi en termes d’échanges économiques, de préférence d’investissements, de rayonnement culturel, d’influence politique – se trouve gaspillé, anéanti. La haine n’est pas loin, le terreau est fertile. C’est catastrophique à long terme.
En fait, cette pratique incite à l’immigration clandestine. Pas seulement parce que l’interdiction du pot de confiture excite le désir. Mais la difficulté d’obtenir un visa fait que, quand on en a un, quand on est arrivé en Europe, c’est une chance à ne pas laisser passer, qui ne se reproduira pas ! Notre politique fige les flux, décourage les retours.
On refuse le bon grain, et l’ivraie passe. Rien ne ressemble plus à la vérité qu’un beau mensonge. Les demandeurs de visa de bonne foi ont souvent des dossiers mal ficelés, il manque un truc. Blackboulés !! Les tricheurs – dûment conseillés par de « bons offices » lourdement rétribués – bénéficient du savoir-faire.     Souvent, ça échoue, parfois ça passe. Le Loto, oui. Mais combien de sans le sou jouent tout ce qu’ils ont ? La chance est faible, mais il y a une chance de s’en sortir, de SORTIR. Arrivent ceux qui trichent le mieux. On encourage les trafiquants.
Idem pour les entrées illégales. Il y faut une grande dose de motivation, de courage, de désespoir – n’avoir vraiment rien à perdre - pour quitter le Sahel, le Golfe du Bénin, la Corne de l’Afrique, se lancer à travers le Sahara, risquer tout des bandes qui y rôdent et qui pressurent, se risquer vers les Canaries, l’Espagne, Malte ou les îles italiennes, après avoir payé des sommes énormes à des passeurs sans scrupules pour embarquer dans des esquifs trompe-la-mort. C’est folie, oui ! Mais on sait que tant et tant sont prêts à tout risquer tant pour eux c’est NO FUTURE. Sont-ce les plus qualifiés ? les plus aptes à s’intégrer en Europe ? vont-ils, après ça, arriver chez nous en se sentant bienvenus, accueillis, reconnaissants ? On ne contrôle en rien qui entre chez nous, on se prive de sélectionner (oui, assumons !). On encourage les passeurs criminels et on donne une prime au seul courage aveugle qui a la rage au cœur.
Quel est donc le résultat de la politique actuelle, à peine caricaturé : on s’épuise à tamiser les entrées, à repêcher des naufragés en perdition, en suscitant la haine de générations qui auraient pu être amies. Pour autant persiste un afflux très important, grandissant, incompressible, de migrants sélectionnés « naturellement » sur des critères de témérité folle, de ruse et de tromperie, d’implication dans les trafics en tous genres. Mauvais démarrage, quand il vaudrait mieux accueillir des migrants plus qualifiés, plus intégrables, mieux disposés – qui n’aient pas fait l’expérience que seul le détournement de la loi paie.

Idée 3 :             L’appel de « Là-bas »

On ne peut, d’évidence, accueillir tous les candidats à l’immigration. Ils sont millions. Le déséquilibre des niveaux de développement en est la cause. Mais en attendant que les pays du Sud émergent (il faut les y aider), il faut trouver des pis aller, des solutions transitoires, les moins injustes possibles, reposant sur des règles claires qui fassent la part à l’humain.

Il faut réécouter, encore, la chanson de Goldman. Tout y est dit.
Pour qui a tourné en Afrique (je parle de ce que je connais le mieux, j’imagine qu’il en va de même ailleurs), qui y fréquente des gens de tous milieux, c’est l’évidence. Une très large proportion de la population, en particulier chez les jeunes, est prête à partir vers les pays du Nord. Pour beaucoup c’est la préoccupation permanente, à l’affût de la moindre possibilité, de la moindre chance – et tous les moyens sont bons, la notion d’honnêteté n’est pas pertinente. Pour d’autres l’urgence est moindre, l’idée plus diffuse, mais si l’occasion se présentait … Cela varie selon les pays, certains étant plus désespérants que d’autres pour leur jeunesse. Les statistiques n’existent pas, j’ai l’intuition qu’elles feraient frémir, si les réponses étaient sincères. Libérez les vannes, ce serait un tsunami.
On retrouve ici Michel Rocard, et sa fameuse phrase qui prend tout son sens : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde » qu’il ne faut pas oublier de poursuivre par « mais (la France) doit en prendre fidèlement sa part. ». Qu’on le veuille ou non, il faut bien admettre ce que Rocard a reconnu – dût-on s’en déchirer le cœur. C’est une réalité, incontournable, « qu’il s’agit de prendre non pas pour une valeur mais pour une réalité », pour reprendre la distinction, très riche, de Claude Lévi-Strauss, à propos de seuil de tolérance à l’immigration.
La situation est là. Une contradiction, ouverte, insoluble en l’état. Des bataillons de candidats potentiels à l’immigration au Nord, et une incapacité de celui-ci à répondre à cette demande, sauf à bouleverser les équilibres sur lesquels reposent ses sociétés (niveau de vie, marché du travail, protection sociale, etc.).
La situation n’est pas nouvelle. Les sociétés européennes ont connu en leur temps le phénomène de l’exode rural, où les populations des campagnes sont parties en masse rejoindre les centres industriels naissants. Déjà on avait limité les déplacements, restreint les mouvements de main d’œuvre (carnet de travail obligatoire). Mais cela se passait le plus souvent dans un cadre national, il s’agissait de citoyens. Mais les pôles de développement pouvaient absorber cette main d’œuvre nombreuse non qualifiée, l’intégrer, dans le cadre de la révolution industrielle. La révolution numérique n’emploie pas en masse, et réclame de la haute qualification.
La cause majeure est identifiée : le déséquilibre entre les niveaux de développement. Les populations du Sud, beaucoup plus pauvres, aux sociétés en pleins bouleversements, sont aimantées par la richesse du Nord – fût-elle un miroir aux alouettes. Là encore rien de nouveau. Les immigrations italienne, puis espagnole, portugaise vers la France ont cessé – voire se sont inversées – quand le niveau des économies de ces pays s’est rapproché du nôtre. Cela viendra pour l’Afrique aussi. Mais on n’en est pas encore là, et il faut gérer l’actuel.
Nous sommes donc, inexorablement, dans une situation de contradiction, de tension. On ne peut l’éluder. Comment dès lors la gérer au mieux, à gauche ? Quel pis aller ? On peut se douter que cela doit s’asseoir sur des valeurs comme l’exigence de justice, une réglementation claire et intelligible, une mise en œuvre qui fasse la part de l’humain, avec doigté. Que l’on énonce pourquoi tel est accueilli, et tel est refoulé. Afin qu’il y ait compréhension, faute d’une impossible acceptation.
Mais sur quelle politique fonder ces règles et ces pratiques ?

Idée 4 :             Régulariser ?

On se focalise sur le clandestin. Pour en faire une victime – ou un bouc émissaire. Mais c’est s’enfermer dans un dilemme insoluble. Etre clandestin est dur à vivre, dans la précarité permanente, mais c’est aussi s’être mis dans l’illégalité. Immigrer clandestinement n’est pas un crime – on ne peut en tenir rigueur moralement aux individus – mais une société doit faire respecter les lois qu’elle s’est données.
De plus, les clandestins posent des questions sociales, à leur corps défendant. Tantôt ils pèsent lourdement sur les réguliers qui les entretiennent, dont ils rendent difficile l’intégration. Tantôt ils sont mis en servitude par ces derniers, qui profitent de leur fragilité. Les deux situations sont inacceptables socialement et humainement. Contraire à des valeurs progressistes.

Le débat sur l’immigration s’est, depuis des années, concentré sur le clandestin, devenu figure archétypale, juste bon à jeter à la mer pour les uns, icône de l’exploité et dernier espoir de la révolution pour d’autres. Si on dépassait ce dilemme ?
Attention, et comprenons nous bien. On parle ici de politique, nous sommes dans la raison et non dans la sensibilité (ce qui n’exclut pas l’humanité). Ce qui est dit concerne des phénomènes sociaux, et non des individus qui, pris séparément, ont dans la plupart des cas droit à de la compréhension, voire de la compassion. Soumis aux mêmes contraintes, qui peut dire : « je n’aurais pas fait pareil » ? Il faut néanmoins gouverner – ou définir des politiques.
On l’a vu plus haut, le clandestin est quelqu’un qui s’est mis hors la loi. C’est dur, mais il faut le rappeler. On ne peut avoir de cohésion sociale sans que soient respectées les règles que la société s’est fixées. Il a pénétré dans un pays sans y être autorisé, par des moyens interdits ou malhonnêtes, ou il y est resté au-delà du temps où il devait le quitter, rompant ainsi l’engagement pris.
Il est très douloureux d’être clandestin. Insécurité, précarité. Non accès à certains services sociaux – mais des avantages quand même. Leur illégalité, le plus souvent, ne peut leur être, à titre individuel, incriminée. Le plus souvent toujours, ils sont par ailleurs honnêtes, ne demandent qu’à travailler, à s’intégrer, rendons leur cette justice. Cependant, pour ne citer que ces points là :
Les clandestins sans emploi sont un fardeau pour les immigrés en situation régulière. Quand ils débarquent, ils s’imposent à ceux qui sont là. Les solidarités familiales ou communautaires sont incontournables. Ils doivent être entièrement pris en charge, parfois pendant longtemps. Ils créent une surpopulation des foyers, où on s’entasse dans les chambres à deux trois fois la capacité, au détriment de l’hygiène, pour ne pas parler du confort. Le travailleur, qui a déjà peine à vivre ici et à envoyer quelque argent au pays se trouve étranglé par cette contrainte supplémentaire. Celui qui a sa vie de famille, modestement logé, doit faire la part au(x) nouveau(x) venu(s), on se serre, les enfants travaillent où ils peuvent, ils passent après les arrivants qui sont leur aînés. L’intégration en souffre. Vous n’entendrez bien entendu aucune déclaration publique de la part de réguliers pour se plaindre de l’immigration clandestine. Cela ne saurait se dire. Mais fréquentez-en, vous verrez combien cela est ressenti.
Les clandestins qui travaillent sont très souvent exploités par des réguliers. Les patrons sont obligés par la loi de demander des papiers à ‘embauche. Ils ne sont souvent pas très regardants, ne lisent pas de près, chacun y trouve son compte. Très souvent, pour travailler, le clandestin doit utiliser les papiers d’un autre, il est déclaré sous un autre nom. Son salaire est versé sur le compte d’un autre. Là encore, pas d’illusions, l’homme est un loup pour l’homme, et le discours sur la solidarité couvre des pratiques souvent sauvages. Ces pratiques ne sont pas gratuites. L’utilisation d’une autre identité n’est pas gratuite – même au sein de la même famille, entre frères. Le salaire est ponctionné, diversement, cela peut aller jusqu’à la moitié. Sans parler des cas – pas si rares – où un prête-nom en difficulté s’arroge sans scrupule la totalité des gains du clandestin, qui n’a aucun recours légal – tout au plus peut-il se retourner vers sa communauté pour arbitrer, mais souvent en vain : l’argent est parti. Qui ne se souvient des reportages sur les mouvements de clandestins qui réclament régularisation ? Sachons voir, dans le discours d’appel aux autorités, l’enjeu majeur qui souvent est d’enfin échapper à une exploitation éhontée venant d’une dépendance à l’égard de l’autre immigré.
Ne généralisons pas, il y a comme partout de grandes âmes, de vrais comportements solidaires entre immigrés – un communautarisme fort aussi, mais qui fonctionne souvent autant comme une contrainte que comme un appui.

Idée 5 :             D’une vraie solidarité

Si les clandestins peuvent mériter une bienveillance humaine à titre individuel, la solidarité à leur égard ne peut être érigée en politique, car elle est partielle, et inadéquate. (1) La clandestinité génère des situations inacceptables. (2) La régularisation massive ne fait pas cesser la clandestinité, elle constitue au contraire un encouragement à émigrer. (3) On a ses clandestins comme on avait ses pauvres : charité de dames-patronnesses. (4) On ne s’émeut que de ceux qui viennent mourir sous nos yeux : pure sensiblerie. (5) On donne la prime aux risque-tout et aux meilleurs tricheurs, ceux qui sont passés. (6) On ignore ceux qui voudraient venir, et qu’on rejette en masse. DONC, c’est le contraire d’une solidarité avec les populations du Sud.

Alors, soutenir les clandestins ? Avoir de la bienveillance pour les entrées clandestines, s’opposer aux expulsions, réclamer la régularisation générale par principe, sont-ce là des positions de gauche par excellence ? De fait, au-delà de l’affectif et de la posture, non. Et pour plusieurs raisons.
Ce n’est pas de gauche d’encourager, ou de fermer les yeux, sur des pratiques d’exploitation subies par les plus précaires. Que l’exploiteur soit le frère de condition et non seulement le patron (on doit peut-être parler d’extorsion alors, ou d’imposition, plutôt que d’exploitation) ne rend pas les pratiques défendables. La situation de clandestinité est néfaste en elle-même, il convient de la dénoncer, en attaquant ses causes, pour la faire cesser (tendre à son extinction, soyons modestes), plutôt que la valoriser.
Or, lieu commun que d’aucuns s’acharnent à nier, les régularisations massives ne font pas disparaître la clandestinité. Elles créent un appel d’air pour plus de candidats, qui y voient la preuve qu’au final, ça pourra s’arranger, que leur souffrance clandestine finira par se terminer, que le grand voyage en vaut la peine. Cette idée, née de régularisations d’il y a dix ou vingt ans déjà, reste dans les mémoires, nourrit l’ardeur à émigrer. Ce n’est donc pas le bon combat.
Mais surtout, surtout : faire un axe de la défense des clandestins, c’est le contraire de la solidarité avec les pays du Sud.
On s’apitoie sur ceux qu’on voit, sur ceux qui sont arrivés. Sur ceux qui ont franchi tous les obstacles, par force ou par ruse. « On achève bien les chevaux », version XXIème siècle. Ou Koh Lanta. A ceux qui restent, toute notre sympathie. On vous soutient, on veut vous garder. Mais pourquoi eux ?
Pourquoi AUCUNE solidarité avec tous les autres, tous les laissés pour compte, ceux qui ne sont pas ici, qui n’ont pas pu venir, qu’on a refusés, qui n’ont pas triché, qui n’ont pas forcé notre porte ? Tous ceux-là qui voudraient aussi venir en France, pour rendre visite, ou pour s’installer peut-être, travailler chez nous, mais qui sont refoulés ? Ils méritent au moins autant notre attention, notre souci. Ils diffèrent simplement des clandestins qu’ils n’ont pas enfreint nos lois. Nous les ignorons donc.
Je dirai presque la même chose des noyés de la Méditerranée. On s’émeut, on s’horrifie (à juste titre) de ceux qui viennent s’échouer sur nos plages, sous nos yeux. Sous nos caméras. Qu’on les repêche ! Qu’on leur porte secours ! Et les passeurs d’en profiter, d’envoyer n’importe quelle barcasse à la mer, pas d’obligation d’arriver au port. Mais on n’a pas un mot, pas un souci, pour ceux que l’Atlantique engloutit hors de vue entre le Sénégal et les Canaries, ou ceux, très nombreux, qui se perdent dans le désert, ou meurent aux mains des seigneurs de guerre en Lybie, rançonnés par les bandes du Sinaï, et autres.
On s’apitoie sur ceux qu’on voit, qu’on a sous les yeux, qui mettent mal à l’aise. C’est l’attitude des dames patronnesses d’antan, qui avaient leurs pauvres, bénéficiaires des œuvres charitables. C’est Cosette jeune fille qui rend visite aux Thénardier et leur apporte soutien, sans les reconnaître. Louable, peut-être. Mais une politique de gauche ne donne pas là-dedans (que les individus s’en chargent). Elle n’a pas ses pauvres. Elle définit une vraie solidarité, en identifiant les acteurs sociaux. En l’occurrence, les populations en position de migration, qui font le choix (réalisé, en cours  ou en projet) de venir s’établir chez nous. Tout en prenant en compte tous ceux qui souhaitent visiter chez nous, dont il faut satisfaire le désir, permettre le voyage, se faire des amis et des alliés dans des pays amis.
Cela dit, quid des clandestins présents ? Il faut aussi savoir régler les problèmes existants avec humanité et intelligence. Différencier les cas. Solder le passé dans la justice et la compréhension, qui n’excluent pas la rigueur. D’une certaine façon, la pratique du gouvernement actuel y tend. Mais après ?

Idée 6 :             L’Afrique, notre arrière-cour

L’Afrique n’est pas un continent étranger. Nous sommes inextricablement liés. A travers nos citoyens qui en sont originaires, à travers les immigrés en situation régulière qui résident chez nous, à travers les clandestins, à travers les populations qui l’habitent, dont les représentations, les imaginaires sont pétris, à notre égard, d’un affect complexe résultat d’une longue histoire. Il est très imprudent de se faire des ennemis. Les attentes à notre égard sont nombreuses, parfois faites d’illusions, ou fantasmatiques, impossibles, dans leur globalité, souvent, à satisfaire. Mais que la désillusion, inévitable, arrive avec un ressenti de mépris, d’indifférence, d’incompréhension, d’humiliation, alors l’hostilité, la haine surgissent naturellement. Or, notre politique migratoire actuelle est une machine à produire ce processus.

L’Afrique compte environ 1 milliard d’habitants, il est prévu que sa population – jeune, dynamique – double d’ici peu de dizaines d’années.
L’Afrique est la voisine immédiate de l’Europe. Elles ont un passé de relations étroites, d’échanges, beaucoup en commun. En Afrique résident de nombreux ressortissants français. Nos intérêts y sont importants. Ils sont fragilisés par une concurrence nouvelle, par de nouvelles données internationales qui rompent les schémas anciens. En Europe, en France notamment, résident d’importantes communautés  africaines. Elles font partie intégrante désormais de notre société. Beaucoup, installés depuis longtemps, sont devenus des citoyens français, ou leurs enfants le sont.
Immigrés ou citoyens, ces hommes et femmes ont conservé des liens étroits avec leurs pays d’origine. Liens familiaux, liens communautaires, liens culturels et religieux. C’est une richesse pour eux, et pour notre société. Ils sont informés de ce qui s’y passe, ils y sont partie prenante. Ils sont concernés par les progrès, mais aussi par les troubles, les mouvements qui agitent le continent. Ils en subissent es effets, souvent en termes de pression. Demandes d’aide, de soutien, d’appui aux projets, y compris aux projets migratoires. Les restrictions à la circulation des personnes les affectent, pris qu’ils sont entre deux contraintes ou deux loyautés.
Bref, l’Afrique n’est pas un continent étranger. Nous lui sommes inextricablement liés. A travers nos citoyens qui en sont originaires, à travers les immigrés en situation régulière qui résident chez nous, à travers les clandestins, à travers les populations qui l’habitent, dont les représentations, les imaginaires sont pétris, à notre égard, d’un affect complexe résultat d’une longue histoire.
De toutes ces populations avec lesquelles nous devons, quoi qu’il en soit, et devrons vivre, il est très imprudent de se faire des ennemis. Les attentes à notre égard sont nombreuses, parfois faites d’illusions, ou fantasmatiques. Impossibles, dans leur globalité, souvent, à satisfaire. Mais que la désillusion, inévitable, arrive avec un ressenti de mépris, d’indifférence, d’incompréhension, d’humiliation, alors l’hostilité, la haine surgissent naturellement. On en a déjà connu des flambées, dans des pays réputés très amis. Or, notre politique migratoire actuelle est une machine à produire ce processus. Chez des gens qui sont déjà chez nous, souvent.
S’aliéner des populations entières qui nous sont indissociables, c’est aussi mettre en danger notre avenir, notre « vivre ensemble » d’aujourd’hui déjà, et surtout de demain. C’est faciliter l’installation des périls et terrorismes en tous genres au cœur de notre société.

Idée 7 :             Accueillir largement

Quelle pire marque d’hostilité, quelle pire humiliation que de se faire fermer la porte par celui à qui on veut rendre visite, avec qui on se sent un rapport étroit ? Il faut ouvrir les portes, donner des visas, accueillir ceux qui veulent venir nous voir, voir à quoi ressemble l’Europe, ces nouvelles couches moyennes qui veulent dépenser et profiter. Ceux qui veulent visiter leur famille. Mais aussi attirer ceux qui veulent étudier, se former, si on veut avoir encore quelque rayonnement à l’avenir.

Quelle pire marque d’hostilité que de se faire fermer la porte par celui à qui on veut rendre visite ? Quelle humiliante frustration que de ne pouvoir, une fois qu’on en a rassemblé les moyens, aller voir là bas où il y a les lumières, où la belle vie a lieu. Où on ne demande qu’à aller dépenser son argent pour profiter un peu. Circulez les gueux, c’est pas pour vous dit, le cerbère à l’entrée. Le droit seulement d’entendre la musique quand le porte s’entrouvre, ou à la télé.
Il faut laisser voyager les demandeurs de courts séjours. Il faut ouvrir les portes, accueillir ceux qui veulent rendre visite, venir voir, se rendre compte. Le Nord est objet de désir, pourquoi en frustrer la satisfaction ?
Combien vont faire leurs courses à Dubaï, qui viendraient bien en France ou en Europe, non pour faire de meilleures affaires, mais parce que c’est plus alléchant ? Ils vont ailleurs par défaut. A-t-on vraiment les moyens de refuser leur commerce, de crainte qu’il n’y en ait parmi eux qui en profitent et s’incrustent ?  Les flux d’échanges commerciaux se détournent, et on y contribue par mentalité de forteresse.
Alors qu’il conviendrait de donner le désir de venir chez nous à toute une classe moyenne émergente dans de nombreux pays d’Afrique qui se portent assez bien, les obstacles que l’on érige, les difficultés que l’on oppose créent la désaffection.  Certes, on sait faire exception pour une élite, on la laisse passer – même si parfois la façon dont les demandeurs sont traités dans les Consulats la heurte et l’humilie. Mais c’est bien au-delà qu’il faut se remettre à accueillir, en particulier vers la jeunesse qui n’oubliera pas demain, quand elle sera cette élite même qu’on courtise, le comportement qu’on a eu à son égard.
Il faut accueillir très largement ceux qui veulent venir se former, étudier. Les restrictions à la circulation refoulent de nombreux candidats qui souhaitent venir étudier chez nous. Parfois pour des raisons qui tiennent (cette formation existe dans votre pays, revenez à un niveau plus avancé). Mais cette admonestation vertueuse a surtout pour effet de détourner vers d’autres lieux. Celui qui désire partir part, mais ailleurs. D’autres pays que le nôtre deviennent des pôles attractifs. Le marché de l’éducation nous échappe.
Certes, le problème est complexe (dans la mesure où nos droits d’inscription sont très bas, puisque l’enseignement est fortement subventionné, on ne peut non plus subventionner des étrangers sans compter). Mais on sait l’importance capitale attachée au fait d’avoir formé des élites pour créer des liens souvent indéfectibles, sur le très long terme.

Idée 8 :             Former les élites : la vie après les études

C’est un enjeu d’avenir majeur : former les élites des pays en développement. Pas seulement pour les études, mais aussi pour les débuts professionnels. L’avenir de l’Afrique se fera avec les Africains qui seront partis ailleurs, qui seront revenus avec de l’expérience, une connaissance du travail, du management, et de l’activité économique. Mais aussi avec des réseaux, des technicités, des attachements. Les laisser partir ailleurs, c’est se priver d’avenir. DONC (1), favoriser les visas d’étude, (2) favoriser les périodes de travail en entreprises, (3) favoriser les retours pour aller exercer au pays, avec la garantie de retour possible en cas de déboire.

J’ajouterai que la formation ne se limite pas aux études. Or, très souvent, l’autorisation de séjour se termine sitôt le diplôme achevé.
Il faut aussi favoriser, en facilitant les séjours, l’entrée dans la vie professionnelle, l’initiation au monde du travail, à son fonctionnement, les premières expériences de la vie active. La formation inclut aussi l’acquisition des savoir-faire liés à l’activité professionnelle, aux responsabilités exercées dans l’entreprise et le monde du travail.
C’est d’une importance cruciale pour l’avenir.
Pendant très longtemps, avant et après l’indépendance, les Africains venus étudier en Europe étaient des boursiers. Totalement pris en charge, ils rentraient diplôme en poche au pays – ils étaient passés à côté du monde du travail. Bombardés aussitôt à des postes élevés, ils ont (je caricature, bien entendu), constitué une caste de bureaucrates qui n’ont pas peu contribué à la crise où ont sombré les nouveaux Etats moins de vingt ans après les Indépendances. En tout cas, disons qu’ils ont peu aidé à l’essor de l’initiative privée, à l’émergence d’acteurs économiques autonomes – un monde qui leur était étranger.
Les crises des années 80 et 90 ont précipité l’émigration de couches éduquées, de cadres diplômés, vers les pays du Nord. D’autres sont venus aussi faire leurs études, mais par leurs propres moyens, la manne boursière s’étant tarie, ou devenue très sélective, ou discriminatoire. Tous ceux-là se sont insérés dans le monde du travail en Europe, ils sont devenus des travailleurs comme les autres. Ils ont vieilli, ont fait souche, leurs enfants sont nés ici, ont étudié, travaillent. D’autres, très nombreux, ont rejoint au cours des années.
Il y a là une immense ressource humaine qualifiée, rompue à la modernité, qui sait comment ça marche, qui souvent a réussi. Qui, contrairement aux précédents, connaît la vraie vie. Qui souvent aussi ne se sent pas suffisamment reconnue, qui se sent injustement ralentie dans sa progression, en butte à un plafond de verre. Qui se dit qu’avec son savoir-faire, son expérience, elle pourrait réussir au pays, faire bien mieux que dans ce vieux monde sclérosé où on ne lui donne pas sa chance. Si les conditions étaient favorables …
Qu’une faible proportion (même un, deux, trois sur dix) de ces immigrés qualifiés et expérimentés rentrent travailler en Afrique, sur dix à vingt ans, cela pourrait grandement contribuer à changer la face du continent. Un tel mouvement est enclenché. On le perçoit, encore timide, dans quelques pays qui commencent à émerger, qui donnent confiance à leurs ressortissants.
C’est un enjeu important pour les pays où est installée cette ressource humaine. Les liens tissés, les réseaux, les méthodes acquises seront un terreau fertile pour accompagner le décollage de ces économies, et participer à leur croissance.
Une politique d’immigration doit favoriser la maturation de ces cadres, ne pas entraver leurs premiers pas dans l’activité professionnelle mais lui laisser libre cours, voire la favoriser.
Elle doit aussi favoriser, sinon inciter les retours au pays. Non pas nécessairement en donnant des primes au départ. Elles sont dérisoires, et forcément objet d’abus et de détournements. En œuvrant à la stabilisation et à l’ouverture des pays d’origine, certes. Mais plus concrètement, prosaïquement, en accompagnant la prise de risque qu’un tel retour représente. En faisant savoir, par exemple, que le retour sera possible, que ce n’est pas un saut dans l’inconnu. Fluidifier les situations, que la situation actuelle enkyste.

Idée 9 :             Expulser résolument

Mais cet accueil, très large, doit être réglementé et contrôlé. Les autorisations de séjour sur le territoire sont limitées dans le temps, et cette limite doit être respectée. Tout dépassement doit être sanctionné par l’expulsion. Sans état d’âme. Cela doit être expliqué dès avant aux intéressés, ainsi qu’à l’opinion. L’objectif est (1) de faire respecter la loi – ce qui est une demande populaire forte, et (2) de rendre vaine l’immigration irrégulière, et ainsi en tarir le flux : on ne dépense pas des fortunes, on ne risque pas la mort pour un projet inutile.

Accueillir très largement, donc. Cela ne veut pas dire pour autant ouvrir grandes les vannes, laisser entrer tous ceux qui se pressent derrière les barrières. On en a parlé plus haut.
Le corollaire, c’est un contrôle rigoureux des flux de population, et une action déterminée pour faire respecter la loi.
Dès lors qu’on empêche les gens de voyager, de se déplacer, on peut s’attendre à ce qu’ils soient nombreux à essayer de passer outre. Dès lors qu’on a permis à d’aucun de jouir de son droit, en en fixant la limite, celui-ci n’est pas en position de se plaindre (ni d’être plaint) s’il est mis en demeure de respecter ce à quoi il s’est engagé.
Ainsi, s’il convient d’accorder largement des visas de court séjour, il faut expulser sans état d’âme quiconque serait pris sur le territoire au-delà de la date permise de retour. Il doit en aller de même des séjours plus longs, dès lors que des critères généreux mais clairs de renouvellement ou de prolongation ont été énoncés.
Une bonne part de l’hostilité à l’égard de l’immigration vient du fait que le loi n’est pas respectée, que l’autorité de l’Etat (c’est-à-dire aussi des citoyens) est bafouée. Cela ne sert personne. Ni les immigrés en situation régulière, sur qui pèse le soupçon, la méfiance, voire l’hostilité. Ni les clandestins, qui vient dans la précarité, et l’incertitude mais qui gardent l’espoir que, bon an mal an, ça peut toujours s’arranger. Ni les forces de l’ordre qui désespèrent de l’utilité de leur tâche. Ni la justice, débordée.
S’il s’avère, progressivement, - si le mot se répand, si la rumeur enfle, grossie par l’expérience - qu’il ne sert à rien d’immigrer clandestinement, puisqu’une telle situation aboutit bien plus souvent à l’expulsion que l’inverse, qu’on a toutes les chances de se retrouver au pays, alors, et alors seulement, le flux de clandestins pourra diminuer voire, à force, se tarir.
Il faut parvenir à rendre vaine l’immigration clandestine, pour que personne n’ait plus de raison de s’y risquer. Car on risque sa vie si on a un espoir, si mince soit-il, que sa tentative a une chance d’aboutir. Il faut décourager non le désir d’immigrer (le développement de perspectives d’avenir au pays y contribuera), mais l’idée que le faire clandestinement pourra être couronnée de succès.
Un projet vain ne vaut pas que l’on meure.

Idée 10 :         Une immigration choisie, et non subie

Les flux migratoires ne doivent plus être subis, mais acceptés et contrôlés. L’expression « immigration choisie » a été détournée, accolée à une mauvaise politique. Il faut lui redonner un contenu positif, fait de valeurs de solidarité, de légalité républicaine, de justice aussi en donnant leur chance aux gens de bonne foi, et non plus aux fraudeurs et risque-tout. Le clandestin ne doit plus être une victime, mais quelqu’un qui n’a pas tenu ses engagements.

Ce serait aussi, pleinement assumée, recherchée, la conséquence d’une telle politique d’immigration qui serait de gauche.
Je reprends cette expression à dessein. Elle a été galvaudée, détournée, par l’usage qui en a été fait sous la présidence de Sarkozy, quand la seule répression tenait  lieu de politique, quand il s’agissait de faire du chiffre à seule fin de communication, avec le nombre d’expulsions comme but en soi, quand les mêmes revenaient peu après par la fenêtre qui avaient sous les caméras été mis à la porte. Une formule donc honnie et diabolisée à gauche, pour ce qu’elle servait, en effet, à nommer une politique détestable.
Mais l’expression n’est pas condamnable en soi, bien au contraire. Il serait dommage de l’abandonner à la droite, voire à son extrême, parce qu’elle aurait été utilisé par eux, souillée, comme le Yop dans lequel l’autre a craché. Non, elle prend un tout autre sens dans le cadre d’une politique de large accueil, généreuse, ouverte – mais rigoureuse, sincère, de part et d’autre.
Qui niera qu’il est préférable d’accueillir – pour travailler, ou s’installer – des candidats aptes à s’intégrer plus facilement, sachant au moins lire et écrire par exemple. Car un vrai accueil, c’est celui qui permet l’intégration à la société, pas celui qui envoie vivre dans des ghettos où la loi règne à peine, à la merci de propagandistes du pire acabit.
Discrimination ? Cesseraient de venir les enfants analphabètes de régions entières (je pense au fleuve Sénégal) qui vivent d’eux ? Peut-être, mais ne serait-ce pas aussi leur envoyer le signal salutaire : commencez par envoyer vos gamins à l’école.
Où est le mal si ce ne sont plus les risque-tout ou les plus rusés qui aboutissent chez nous, mais d’honnêtes candidats au vu de leurs qualités intrinsèques ?
Une telle politique, bien mise en œuvre, avec l’humanité qui convient, pourrait trouver sinon soutien, du moins neutralité silencieuse, chez les immigrés eux-mêmes, voire dans les pays. L’expulsé ne serait plus la victime tombée au champ d’honneur mais le tricheur qui a essayé mais n’a pas réussi.

Idée 11 :                           Modalités pratiques : le coût

Expulser un clandestin coûte très cher. Pour financer cette politique, il faut à la fois générer des moyens, et dissuader la clandestinité. (1) Créer un fonds, alimenté par exemple par une augmentation des visas, une taxe minime sur les billets d’avion, etc. (2) Exiger des personnes constituant un « risque migratoire » (actuellement rejetés) un dépôt de garantie, restitué lors du retour dans les temps.

Une telle politique, bien entendu, a un coût.
Expulser un clandestin coûterait jusqu’à 10 000 euros (entre son billet, ceux aller-retour de l’escorte, la rémunération de celle-ci, etc.). C’est bien entendu énorme. On ne peut  - même avec l’espoir d’une baisse progressive, avec les premiers effets – envisager de telles dépenses, sans les financer au moins en partie.
Un fonds pour subvenir à ces dépenses pourrait être alimenté de plusieurs manières. On peut penser à une augmentation du montant des visas, au titre de la solidarité. Ou à celui du timbre fiscal à payer pour obtenir une attestation d’hébergement, préalable à l’obtention d’un visa. Pourquoi pas aussi une taxe supplémentaire sur les billets d’avion, minime, l’exemple existe. En tout cas, financer.
Il faut aussi, surtout, dissuader les bénéficiaires de visa de ne pas rentrer.
Pour cela, parmi d’autres idées possible, celle d’un dépôt de garantie. Celui qui demande un visa atteste qu’il a déposé une somme, importante, auprès d’un organisme ad hoc. Somme qui lui est restituée, dans son intégralité, à son retour en temps voulu, qui est perdue sinon. Si cette somme ne pourra couvrir l’intégralité des frais de rapatriement, elle doit en constituer une bonne proportion. Cela pourrait être, à la louche, quelque chose comme 3000€.
J’entends déjà les cris : discrimination !!! sélection par l’argent !!! on refuse aux gens modestes le droit à voyager !!! Oui, mais …
Ce mode de sélection est au moins admis, compris – même s’il n’est pas désiré. Il repose sur un critère objectif, clair. On sait ce qu’il est, on sait comment le satisfaire, même si c’est difficile. Rien à voir avec les exigences actuelles, floues et confuses, léonines, qui reposent sur le soupçon et la méfiance.
Plusieurs bémols à ces accusations. D’abord, ce montant est bien moindre que ce que les migrants peuvent donner aux trafiquants et passeurs de tout poil – sans espoir de restitution ! – et que pourtant ils trouvent, même infiniment pauvres, parce que tout le village s’y est mis pour envoyer au Nord celui qui après leur enverra ses gains, misérable à jamais. Quelle situation préfère-t-on ? Ensuite, on peut emprunter cette somme, si on est de confiance auprès de prêteurs. Banques, certes, ou parentèle, voisinage, les possibilités sont multiples. Enfin, pour ceux qui restent outrés, voilà une belle forme de solidarité qui leur est offerte : contribuer à des fonds – sous forme d’ONG - qui justement financeraient les sommes mises en gage par tel ou tel candidat au voyage.

Idée 12 :                           Modalités pratiques : la mise en œuvre

La mise en œuvre de ces dispositions ne poserait pas de problème particulier à nos Consulats. Le contrôle des mouvements migratoires devrait être confié à un ministère spécifique : leur bonne gestion n’est pas une affaire de police mais de gestion d’une ressource pour le pays. Parallèlement, pour traiter rapidement les infractions au droit de séjour, on pourrait créer des instances de jugement spécifiques, qui déchargeraient les tribunaux et accéléreraient les expulsions.

A l’étranger, la mise en œuvre d’une telle politique ne pose pas de problèmes spécifiques. Le travail des Consulats demeure identique, mais le dépôt de garantie est exigé en sus des demandeurs de visa qualifiés actuellement de « présentant un risque migratoire ». Cela n’inclut pas de charge supplémentaire, la collecte, la conservation et la restitution des dépôts de garantie pouvant être externalisés, au prix bien entendu d’un strict contrôle.
La question mérite une attention plus particulière en France.
Un des problèmes majeurs rencontrés par l’application de la loi est la lenteur des procédures. Les clandestins interpelés et déférés engorgent les tribunaux, encombrent les centres de rétention, se retrouvent souvent élargis faute de savoir qu’en faire, découragent en fait les agents chargés de faire respecter la réglementation.
Actuellement, la question des clandestins est traitée judiciairement, par la police et la justice, dont ils surchargent les tâches, et les empêche de se concentrer sur le cœur de leur métier, à savoir combattre la criminalité. De plus la police a l’habitude d’avoir affaire à des délinquants, alors qu’on ne peut assimiler les clandestins sous ce vocable.
Ne conviendrait-il pas de créer une administration spécifique, un Ministère des Migrations ? Là encore, le fait que Sarkozy ait utilisé cet outil ne doit pas détourner de la réflexion sur son usage. Tout dépend du rôle qui serait assigné à cette administration, des missions qui lui seraient confiées, des valeurs qui la guideraient. Elle pourrait d’ailleurs trouver dans ses attributions à la fois (1) les dossiers des Français expatriés, (2) la lourde question de faciliter la cohésion sociale en favorisant l’intégration des immigrés réguliers ainsi que des Français nés de parents migrants, et enfin (3) d’assurer le respect de la réglementation sur les autorisations de séjour sur le territoire. Un ministère dont la tâche majeure serait de faire des migrations un atout pour le pays.
Parallèlement, il convient que les dossiers des clandestins interpellés soient traités avec célérité. Des semaines, des mois d’instruction rendent l’action vaine : la situation des individus a changé, l’expulsion devient de plus en plus difficile. Il faut que la décision, et son application interviennent très rapidement.
Les procédures actuelles datent d’un temps où les quantités de dossiers à traiter étaient bien moindre. Elles en sont plus adaptées à la situation actuelle. De même, on le disait, il ne s’agit pas ici de délinquance, mais de contravention à une réflexion.
Proposition à réfléchir : créer des tribunaux spécialisés dans les affaires de droit de séjour, à l’instar des tribunaux de prudhommes pour les affaires de droit du travail. Ils pourraient être composés de représentants divers - jurés populaires, acteurs institutionnels et sociaux, associations, y compris des représentants d’immigrés - et seraient dotés d’instructions précises, claires et justes, grâce auxquelles pourrait être examiné chaque cas.

La question des réfugiés

Idée 13 :                            PREAMBULE

Poser des principes : lorsqu’une crise grave éclate dans un pays (1) les populations victimes qui tentent de la fuir doivent bénéficier de solidarité ; (2) elle ne doit pas être un fardeau pour les pays limitrophes où les populations affluent ; (3) elle ne doit pas être une aubaine pour une migration « rêvée ».

Tout ce qui précède vaut particulièrement pour les migrations dites « économiques ». Ce qu’il est convenu d’appeler la « crise des réfugiés » semble ne pas entrer dans ce cadre. Elle a créé une situation d’urgence, un afflux massif, auquel il a fallu apporter une réponse immédiate de solidarité puisqu’elle créait une question humanitaire d’urgence.
Mais au-delà du traitement de la question à court terme, il faut définir une politique générale qui traite là aussi de la situation avec justice et humanité, mais raison.
Je propose deux points de départ à la réflexion :
Des principes : lorsqu’une crise grave éclate dans un pays (1) les populations victimes qui tentent de la fuir doivent bénéficier de solidarité ; (2) elle ne doit pas être un fardeau pour les pays limitrophes où les populations affluent ; (3) elle ne doit pas être une aubaine pour une migration « rêvée ». Cela impose un traitement international.
A PROPOS DES PRINCIPES. L’opinion en Europe a été bouleversée par l’afflux massif de populations arrivées du Proche-Orient, fuyant la guerre en Syrie et en Irak. Des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes qui voulaient pénétrer en Europe. Mais des déplacements de population comparables, voire plus importantes, existent ailleurs dans le monde, mais ne nous affectent pas. Une bonne partie de la population érythréenne a fui son pays. Les réfugiés de Somalie se comptent par millions, notamment au Kenya. Sans parler des Sahraouis, ou des Palestiniens, pour lesquels c’est une longue histoire.
Très souvent, ce sont les pays voisins qui doivent accueillir ces masses de réfugiés, avec, souvent aussi, l’aide du UNHCR. Ainsi, le Liban croule sous le nombre des réfugiés syriens et autres. Il a été déstabilisé par celui des Palestiniens, jadis. La Turquie renâcle à garder sur son sol les Syriens qui fuient la guerre, et fait un chantage à l’aide, en compensation.
Les réfugiés ne doivent donc pas être un fardeau pour les pays où ils affluent, pour une raison de simple justice, et parce que sinon, s’ils se révèlent incapables de les accueillir, le problème peut se déplacer.
Par ailleurs, on l’a vu à l’occasion encore de la « crise des migrants », le problème est particulièrement complexe. Le flux, généré par la fuite de la guerre en Syrie, a drainé des migrants aux origines et motivations très diverses. Afghans, Pakistanais, bien d’autres, et même des Nord-Africains, voire des Africains du Sud du Sahara, bloqués de l’autre côté de la Méditerranée, ont trouvé l’occasion de se mêler à l’afflux, et de s’infiltrer là où ils ne le pouvaient précédemment. Même pour certaines populations plus directement concernées par la guerre, on ne peut exclure l’effet d’aubaine et l’occasion de gagner certains pays du Nord, jusque là inaccessible.
Ainsi, autant il convient de traiter avec solidarité et humanité des populations lancées sur les routes pour trouver refuge, autant il faut avoir une politique au-delà de l’urgence, qui permette de faire face à ces afflux dramatiques.

Idée 14 :                            Distinguer : exilé, réfugié, migrant

L’exilé est un individu qui ne peut rentrer dans son pays car il y est personnellement menacé. Le réfugié a fui en masse une situation de crise, en attendant qu’elle se résolve. Il est dans un groupe, il est traité collectivement, souvent dans des camps organisés par des instances internationales. S’il dépose, à titre d’individu, une demande d’asile et se trouve alors accueilli dans un autre pays où il bénéficie du statut de réfugié. Sa condition n’est alors pas différente de celle de l’exilé. Le migrant quitte son pays sur décision individuelle sans menace autre que l’impossibilité ressentie à s’y accomplir, ou à répondre aux attentes des siens.

Pour moi un exilé c’est celui qui ne peut rentrer dans son propre pays car il y perdrait sa liberté, voire sa vie, il y encourt arrestation, nommément. J’ai envie de prendre comme exemple, puisqu’il est mort voilà très peu, Jean-Claude Duvallier, l’ancien dictateur d’Haïti – parce que parmi les exilés, il n’y a pas que des gentils. Ils trouvent un pays d’accueil, y obtiennent le statut de réfugié (attention à l’ambiguïté des mots), ils ne peuvent rentrer chez eux. C’est le cas des grandes figures de l’exil, dans le passé comme au présent. Trotsky, de nombreux Chiliens à la chute d’Allende, les ressortissants de l’Est aux temps soviétiques. Souvent des personnalités, des responsables, individualisés. A donner des exemples, on voit aussi des cas où l’exil est volontaire, résultant d’une impossibilité ressentie à vivre chez soi, sous un régime oppressant. Hugo. En général, l’enfermement viendrait au retour. On rentre, parfois avec honneur, quand la situation se renverse.

Le réfugié relève d’un autre profil. Il est en masse. Il fuit, avec quantité d’autres, une situation où il estime courir un danger, être sous la menace. Il se sauve. Sa fuite l’emmène le plus souvent dans un pays voisin (parfois même dans son propre pays, en cas de conflit interne). 
La réponse apportée au phénomène est, si possible, la création de camps, sous l’égide le plus souvent des Nations Unies, qui ont un Haut Commissariat (UNHCR) qui s’y consacre. Ils ont établi le camp de Dadaab au nord Kenya, près de la frontière, qui rassemble près d’un demi-million de Somaliens à ce jour. A certains égards, on est proche de la crise humanitaire, résultant d’un cataclysme. De vastes mouvements de populations, installées à l’abri, pour des durées imprévisibles. 
C’est dans un second temps que le réfugié redevient individu. Quand, à titre individuel - et souvent pour une petite minorité seulement -, ils déposent des demandes d’asile auprès d’autres pays. Cette partie sort du camp, on dirait par le haut, et partage avec les exilés le statut de réfugié quand ils sont acceptés par un pays d’accueil. Les autres attendent, le retour comme horizon, la fin du conflit, le changement ou l’évolution du régime, que cesse ce qui les a fait fuir. Le camp s’autonomise, échappe au contrôle des autorités du pays d’accueil et de l’ONU, s’enkyste. Ce sont les réfugiés hutus  dans l’est  de la RDCongo, les camps de Somaliens au Kenya, noyautés par les Shebabs. Ce sont les camps des Palestiniens au Liban, depuis 1946. Rares sont les exemples d’intégration dans le pays d’accueil.  Combien de temps cela a-t-il pris, en France, pour les Républicains réfugiés de la guerre d’Espagne ?
Parfois enfin, quand les masses sont trop importantes, ou que les camps n’ont pas eu le temps de s’organiser, ou encore que l’attraction d’un autre lieu – « greener pastures » - accessible est trop forte, ces masses refusent les camps et forcent l’accès à travers les frontières, dans des conditions dramatiques et périlleuses. Mais comme pour les migrants, faut-il céder à ce qui demeure – au-delà de la détresse humaine qu’il faut traiter – un coup de force et un chantage affectif ?
On se retrouve dans le même cas de figure qu’avec les migrants qui risquent la méditerranée.

Et puis il y a les migrants – émigrés d’un côté, immigrés de l’autre, souvent en danger au milieu. Dans leur cas, pas de péril grave ou immédiat, mais une impérieuse nécessité ressentie, désir d’ailleurs où tout est possible quand ici est bouché, que les rêves y sont étroits (« Là-bas » de J.J.Goldman dit tout à ce sujet), pression du groupe, phénomène du cadet, etc. Impérieuse nécessité, qui peut aller jusqu’au rien à perdre, risquer tout, « no future », jusqu’à sa vie. Si leur nombre fait masse, leur migration relève de la décision individuelle. 
Qu’advient-il d’eux ? Certains immigrent légalement, sont dotés d’un titre de séjour, permettant le travail. Tout se passe bien jusqu’au renouvellement, qui se fait ou pas. D’autres arrivent avec un visa touristique, obtenu très normalement ou par acrobatie, et plongent dans la clandestinité à son expiration. D’autres enfin entrent illégalement, par toutes sortes de chemins, grâce à toutes sortes de fricoteurs et aigrefins, à grand coût, au prix de grandes souffrances, au péril de leur vie. 

Idée 15 :                           Répondre aux demandes d’asile

Il faut poursuivre la tradition française de générosité d’accueil, mais avec discernement. L’octroi du statut de réfugié aux demandeurs d’asile parvenus sur le territoire français doit se faire (1) avec rigueur, lorsque la menace subie est avérée et (2) avec rapidité, pour éviter de créer des situations de fait. Il peut aussi relever du tribunal spécialisé mentionné précédemment. Mais il faut peut-être accroître très sensiblement l’asile accordé aux demandeurs placés en camps de réfugiés. Une façon d’avoir une immigration large et choisie.

La France a une tradition de générosité pour recueillir les exilés, et les individus sous menace. Il faut la perpétuer. A savoir se montrer très généreux, mais avec discernement.
Mettons à part quelque cas très minoritaires de personnalités soudain contraintes à l’exil. Dans la plupart des cas, les demandes émanent d’individus qui ont réussi à accéder au territoire national, légalement ou non, et une fois sur place, déposent leur demandent, pour une raison ou une autre. Il est très difficile de faire la part du vrai et du faux, de mesurer la gravité de la menace subie ou du péril encouru dans le pays d’accueil. Comment traiter les dossiers avec rigueur, faire la part de la demande légitime et de l’opportunité saisie, ou carrément de la fausse déclaration ?
Ainsi, si le régime érythréen, ou nord-coréen, est particulièrement dictatorial, doit-on accorder le droit d’asile à tous les Erythréens qui en feraient la demande ? Si telle ethnie est discriminée dans un pays, tous les membres de cette ethnie ont-ils vocation à immigrer dans l’UE ? Si des lois particulièrement menaçantes pour les homosexuels sont adoptées, suffit-il de se déclarer gay pour bénéficier d’accueil ? Cela peut être la porte ouverte à des abus, qui ruineraient toute la politique définie, et ce d’autant qu’on se trouve davantage dans le cas de figure du réfugié (relevant du UNHCR), pris en charge à proximité.
Dans ce cas aussi, il faut accélérer énormément le traitement des dossiers. 12 mois, voire bien plus, entre le dépôt d’une demande et la décision, est humainement terrible. Une situation se crée, un individu vit dans l’incertitude, mais en même temps se crée un cadre de vie, et la sentence, souvent négative, est de ce fait douloureuse – parfois inapplicable. Là encore, comme suggéré plus haut pour les migrants en situation irrégulière, des « tribunaux » ad hoc pourraient se prononcer rapidement.
En revanche, un signal fort à donner serait de considérer fort favorablement les demandes d’asile émanant des réfugiés recueillis dans des camps, et qui désirent rejoindre notre pays. On retombe dans le cas d’une immigration choisie, qualitativement et quantitativement, qui peut aussi être généreuse, davantage même qu’à l’égard des demandes présentées depuis notre territoire national.

Idée 16 :        Une réponse internationale aux situations de crise

Les flux de réfugiés, générés par les situations de crise, relèvent d’un traitement international, à travers des instances multilatérales opérant en coordination avec les pays voisins ou proches des foyers de crise. C’est la vocation d’un UNHCR qui serait réformé, dé-bureaucratisé, apte à répondre à l’urgence comme à gérer le devenir de ces populations à moyen terme. Dans l’attente, l’Union Européenne peut aussi, collectivement, prendre sa part, voire se montrer pionnière.

Les crises qui éclatent dans un pays provoquent des mouvements – parfois massifs – de populations, d’abord vers les pays voisins.
La prise en charge de ces réfugiés ne doit pas peser sur les seuls pays qui reçoivent. Ce sont souvent des pays pauvres, mais dans tous les cas ces afflux massifs et brutaux ont des effets déstabilisants, économiquement, voire politiquement.
Mais, comme ce fut le cas lors de la récente « crise des migrants », d’autres pays plus lointains, mais choisis comme destination par des masses de réfugiés, ne doivent pas non plus subir un mouvement de force.
La communauté internationale s’est dotée d’une institution multilatérale : le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). C’est à ce niveau que devraient être traitées toutes les situations d’urgence qui éclatent dans le monde. De toute ampleur. Ces situations appellent une solidarité internationale globale – tous les continents mutualisant leurs ressources pour faire face, n’importe où dans le monde. C’est déjà ce qui se passe dans une certaine mesure. L’UNHCR a établi et gère nombre de camps de réfugiés de par le monde, où des centaines de milliers de personnes sont assistées.
Cependant, comme hélas pas mal d’institutions onusiennes, l’UNHCR est largement bureaucratique, a des procédures lourdes, des modes opératoires rigides et souvent peu adaptés. Le système des camps, tel qu’il existe, enkyste les situations qui ont tendance à perdurer, crée des tensions avec l’environnement et les populations alentour, laisse fleurir des organisations informelles nocives (Interhamwe dans les camps de réfugiés rwandais au Kivu, Shebabs au nord Kenya) qui s’approprient l’aide et font régner leur loi.
Il conviendrait donc de réformer en profondeur le UNHCR, son organisation, ses méthodes, sa réactivité, les structures qu’il met en place, son (absence de) souci de l’insertion des réfugiés dans leur environnement social, ou de l’apport que pourraient constituer les réfugiés au pays d’accueil. Bref, en faire une agence très opérationnelle, réactive dans l’urgence et développementaliste dans la durée, qui prenne en charge le devenir des personnes sous sa charge. Disposant par ailleurs des moyens nécessaires, auxquels contribuerait l’ensemble de la communauté internationale. Alternative, le UNHCR pourrait, avec un cahier des charges très précis, déléguer ses tâches localement, au pays d’accueil ou à des groupes de pays plus particulièrement concernés.
En attendant cette réforme qui risque de prendre du temps, l’Union Européenne doit prendre en charge certaines situations d’urgence, faire face à l’urgence humanitaire, accueillir peut-être mais aussi mettre en œuvre des solutions de moyen terme, y compris en dehors de son espace. Peut-être proposer le prototype de ce que pourrait devenir le UNHCR réformé.
Là encore, la question des réfugiés ne doit pas être abordée au niveau national, mais international.

Idée 17 :                           Les migrants, en conclusion

Le réfugié est dans une situation transitoire. Il a d’abord vocation à rentrer chez lui, une fois la crise terminée. La vie en camp ne devrait être que temporaire : le temps que la situation qui a provoqué le départ s’améliore. Malheureusement, certaines situations perdurent (les Palestiniens, depuis 1947) et créent des états de fait qu’il faut d’abord prévenir pour pouvoir les gérer.

S’il ne rentre pas chez lui, le réfugié devient donc soit exilé – si une demande d’asile de sa part a reçu une réponse favorable, auquel cas il bénéficie du statut de réfugié dans son pays d’accueil – soit il devient un migrant, cherchant à s’établir et à poursuivre sa vie dans un pays autre que le sien.
On voit que, dans tous les cas, l’axe d’une politique audacieuse, responsable, généreuse et durable, tient dans les deux termes indissociables : « Accueillir largement, expulser résolument ». Fondée sur des valeurs d’ouverture, de justice, mais aussi de rigueur et de respect des engagements, cette politique dépasse la contradiction dans laquelle nous sommes actuellement enfermés, et propose une perspective progressiste à faire partager avec nos partenaires européens.