samedi 18 janvier 2014

Impressions du Mali

Je n’étais allé qu’une seule fois à Bamako, et encore pour un séminaire qui nous avait laissé peu de temps. L’occasion d’un pèlerinage à la recherche d’un auteur, les contacts sur place que cela m’avait permis d’avoir offraient une belle occasion.


Sympa dès l’abord. La frontière, on avait déjà passé pas mal de temps côté ivoirien – j’arrivais en bus d’Abidjan – et même topo : tout le monde descend et donne sa pièce d’identité puis se dirige sous un arbre, à proximité des bureaux, modeste construction  avec une natte qui fait paravent  sur le côté droit. Distinction est faite entre les titulaires de passeports et les autres. Un groupe de gars grands et secs, en  qamis, quelque peu barbus, allure de Maures, sont appelés à l’écart. Un autre groupe de jeunes aussi, Ivoiriens à l’évidence, très bruyants et brassant l’air depuis le départ. Ils arborent RayBans et super smartphones. L’appel commence, à se rendre au guichet derrière le paravent pour récupérer ses papiers. Un après l’autre. Confidentialité.  Un des premiers servis revient avec l’info pour les autres. Ils prennent 1000 (CFA, soit 1,5€) par personne. Raisonnable. Je n’ai pas envie de donner, on va voir.  J’attends mon tour, comme précédemment de l’autre côté de la frontière. Les Maures ont dû raquer davantage, ça a duré pour eux sur la gauche du bâtiment, et ils font un peu la gueule. Les jeunes kakous aussi (version africaine du marseillais cacou) . Je saurai plus tard que ce devaient être des spécialistes de l’escroquerie en ligne, qui arrivent à ramasser de fortes sommes, mais qui – pourchassés désormais en Côte d’Ivoire – se font envoyer les sommes à Sikasso, juste de l’autre côté de la frontière. Ils viennent donc relever les compteurs, et doivent arroser les uns et les autres. Ils s’arrêteront en effet à Sikasso. Presque tout le monde est passé, j’attends. Pour la bonne bouche ?  Mais un gars en uniforme s’avance et me dit de venir. Il me conduit vers une table basse autour de laquelle des gradés sont assis dans de bas fauteuils de jardin. Je m’approche. Le supérieur me tend mon passeport avec un sourire. Nous sommes très reconnaissants de ce que vous faites pour nous. Vraiment, la France nous a sauvés, on vous remercie. Je bafouille quelques mots sur l’amitié franco-malienne, et m’en retourne vers le groupe qui a commencé à remonter dans le bus. Bonne maison, 1000CFA d’économisés.
A un arrêt du bus

Le Mali est un pays en guerre.  A Bamako, ou même jusqu’à Mopti, il n’y paraît pas. En plus d’une semaine j’ai vu en tout et pour tout deux militaires français. Ils prenaient leur bière et déjeunaient au restaurant de l’Institut français. Rien de bien belliqueux.  Des soldats maliens, de ci de là, quelques véhicules, pas de lourde surveillance le long des routes, ça doit se passer ailleurs. Assis au bord de la route du Nord, à Sévaré, tout près de Mopti, on voit défiler un important convoi de semi-remorques  chargés d’énormes citernes ou containers, tout de blanc peints, marqués de grands UN. « Tiens, ils ont plutôt l’air de s’installer, ceux-là ! » remarque-t-on à côté de moi.

Le site de Bamako a de la beauté. Le Niger, déjà très large, très en eau à cette saison, a creusé de part et d’autre une vaste plaine que borde une barre de collines, où la ville commence à grimper. La Présidence y domine, sur une rive. En face, on pourrait parler d’une colline du savoir, où j’ai trouvé à me loger, avec nombre de bâtiments universitaires. La ville s’étend en contrebas, liée par ses deux ponts. Peu de grands immeubles, une poignée, des banques bien entendu, la BCEAO et sa tour aux accents d’architecture sahélienne. Le reste est bas, laissant apparaître le faîte de nombreux arbres. 


Une avenue de Bamako
De fait, le centre ville a un parfum d’antan. Des rues ombragées et poussiéreuses. Le goudron, plutôt étroit, est en bon état. Les voitures s’y croisent à l’aise, sans plus. Pas de trottoirs bien entendu, les bas-côtés pour le piéton sont défoncés, des saisons de pluies y ont creusé les rigoles. Mais c’est assez large sous les arbres. La place d’installer de quoi s’asseoir. Beaucoup de groupes d’hommes, autour d’une théière sur un petit brasero. D’autres regardent passer. La vie s’écoule (c’est cool). Ailleurs de très larges avenues, quatre ou six voies, sans âme. La ville bouge, ça circule, oui. Mais ça s’active ?

Cet invraisemblable « Projet de la production 
et de l‘utilisation de l’huile de jatropha
comme biocarburant durable ».  PPUHBD ??
Ce type de projet qui commence par utiliser
les fonds reçus pour acquérir de beaux locaux
et des véhicules (photo) avant de commencer
 à se demander ce qu’est même le jatropha.
Marcher le long de ces rues. Sur les villas sous les manguiers, ou sur les petits édifices, partout : Direction générale de tel ministère, Office de ceci, Service de cela. Agence machin. Projet untel, Délégation  unetelle, ONG tartempion. L’institutionnel  règne.  Jusqu’à l’immense, rutilante cité administrative d’un goût architectural moyen qui s’étend le long du fleuve, au débouché d’un des ponts, œuvre ou don dit-on de Khadafi, qui regroupe tous les ministères dans une cité fermée sur elle-même. Splendide enceinte d’ivoire.
Pour qui est plus habitué à Lagos, à Nairobi, ou même à Abidjan, à ces villes où l’activité trépide, où les opérateurs économiques tiennent le haut du pavé, quel contraste ! Je me sens un peu trente années en arrière, dans l’after des Indépendances, quand la bureaucratie coloniale s’était renforcée d’une large étatisation. C’est l’administratif qui donne le la, qui imprègne l’état d’esprit. Le seul  véritable entrepreneur que je rencontre me le confirme, et semble bien isolé. Au demeurant l’administratif est débonnaire, sympathique, fait de son mieux (j’en ai connu ailleurs des bien pourris qui  ne s’occupaient que de tirer profit).
La Cité administrative, toute récente, rassemble tous les Ministères
Ca fonctionne, à sa manière.  Mais à la résidence, par exemple, agréable et très bien tenue, le petit personnel d’entretien est pléthorique, le responsable de la Cafétéria suffisant et incompétent (on me dit qu’il n’y a au Mali aucune école de formation aux métiers de l’hôtellerie ou de la restauration, un enseignement technique et professionnel presque inexistant en général), je me demande comment cet établissement, encore une fois  très agréable, équilibre ses comptes, de quelles subventions il vit.
Une anecdote. Je voulais utiliser internet sur mon smartphone.  Pour cela, on me dit qu’il faut configurer l’appareil tout spécialement. Bon. Mais pas chez un concessionnaire Orange où je me rends, non, faut aller au siège même d’Orange.  Un seul lieu dans la ville. Dans le pays ? Je vais donc dans ce lieu à la pointe de la modernité technologique et du secteur concurrentiel. Grand hall, équipement moderne, écrans plats,  affichage en diodes des numéros d’appel.  Un guichet pour l’accueil avec deux personnes. Je vais m’approcher mais on me donne un numéro.  Faut aller faire la queue sur des bancs en attendant d’être appelé pour expliquer son problème (et être dirigé alors, selon, vers l’une des autres queues  que je découvre dans la grande salle). A vu de nez – ou du peu d’empressement des agents de l’accueil à traiter une personne, s’activant à tout autre chose entre deux – il y en a pour au moins une demi-heure pour la première étape. Je pianote mon mobile, et m’aperçois qu’il y a une couverture wifi. Accueillant, pour meubler l’attente. Et puis la moindre des choses, en ce lieu, promotion de son produit, tout ça. Je me dirige vers un comptoir pour demander le code d’accès. « Ah non, désolé Monsieur, la wifi est réservée aux techniciens. » Désolation. On ne s’occupe pas des clients, on traite des administrés.  Comme au bon vieux temps.

Vue du marché
L’impression, comparativement encore, d’un pays qui se laisse vivre. Qui se satisfait de son état, vaille que vaille. Qui ne va pas chercher plus loin. Sous perfusion des aides internationales et de l’argent de l’émigration, exportant personnels de nettoyage, jeunes hommes sans qualification, qui seront bientôt pressurés. Le quartier du marché est actif, le commerce a envahi rues et immeubles. Un peu à la façon de Lomé. Mais c’est une activité traditionnelle, import et export, gros et détail, qui rapporte à ses acteurs mais n’a pas d’effet levier. L’accès à Internet est plutôt poussif, les cybers assez désuets et très modérément fréquentés. S’ils le sont ailleurs beaucoup par de jeunes aigrefins, cela crée néanmoins une culture informatique que l’on ne sent pas ici. Le niveau général d’éducation semble assez bas. On a du mal à se faire comprendre. Les chauffeurs de taxi connaissent mal  la ville, les explications sont laborieuses, ils s’adressent systématiquement à l’Africain qui m’accompagne, pour pouvoir échanger en bambara, et même là, c’est pas gagné.  Un ami Ivoirien s’étonnait de cette pauvreté, par rapport à Abidjan. 
Assis sous les neems de Sévaré,
en train de prendre le thé,
avec Abdoulaye et Boubacar


Un autre point.  A discuter avec les uns et les autres, à regarder les infos, les publicités aussi, on sent un réel attachement au pays, un vrai patriotisme – sans pour autant d’esprit de clocher, ou cocardier. Il y a une vraie fierté d’être Malien, de bon aloi. En tout cas dans les parties que j’ai visitées, je ne suis pas allé dans le Nord des Touaregs. Cependant, là encore, avec le recul, quelque chose qui chagrine. A aucun moment, de la part de quiconque, où que ce soit, je n’ai vu mentionner la dimension régionale, une vision d’avenir dans un espace plus grand que national. Or, quand on observe l’Afrique – et d’autres continents de la même façon, le nôtre compris, il est évident que si développement, si émergence il doit y avoir, elle ne peut se faire que dans le cadre d’intégrations régionales. C’est l’affaire du siècle. L’Afrique de l’Est s’y emploie résolument. L’Afrique du Sud polarise tout le cône austral et vise au-delà. Le Nigéria cahin-caha assoit son hégémonie  sur la partie ouest. On ne semble guère s’en soucier au Mali, on ne sent pas cette conscience, Même si Ouaga est plus près de Mopti  que  Bamako. Même s’il est plus facile d’aller de Kayes à Dakar qu’à Bamako, on se satisfait des limites de son pays. L’expérience montre que lorsqu’on ignore un grand bouleversement, il se fait quand même, et on s’en retrouve victime faute s’y être inséré.


Voilà beaucoup de points plutôt négatifs. Je m’en voudrais beaucoup de blesser mes amis Maliens, qui sont si merveilleux, qui m’ont si bien accueillis, que j’ai tant envie de revoir, de retrouver, dans ce Bamako si agréable, dans ce Sévaré si chaleureux où l’on partage au moins autant l’amitié que le thé. Qu’ils ne voient dans ces lignes que l’expression de mon souci de leur devenir, dans un monde en tourmente, dans une Afrique en grande mutation, prometteuse, dynamique,  mais où, comme partout dans l’Histoire, les places aux  premiers rangs iront à ceux qui auront su sentir le vent.

mercredi 8 janvier 2014

Centrafrique, partir, vite


En réaction à l'article du Monde du 08JAN2014

"En Centrafrique, le président Djotodia est sur le départ"


La nasse se referme.

Il fallait intervenir pour faire cesser les massacres. On l’a fait. Mais l'apparition des anti-balaka a changé toute la donne. Dès lors il fallait se retirer au plus vite pour laisser les Africains trouver une solution, y compris politique.

Car la crise est autrement plus profonde, et il ne suffit pas de jouer les belles âmes. Bien sûr Djotodia est un seigneur de guerre abruti, incapable. Mais on a soutenu Bozizé pendant des années, qui a su mobiliser une partie de son pays contre lui, Et qui surtout a su dresser les communautés de Centrafrique les unes contre les autres.

Le résultat est là. Nous ne sommes certainement pas les mieux placés pour régler ça au fond.
 Expulsons l'incapable, même avec le soutien de tous les présidents de la région, et nous voilà redevenus - aux yeux de tous - et la France impérialiste, qui fait et défait les rois. 
Et comme il est infiniment improbable que les choses tournent très bien …
Que les populations de Bangui et du Sud, à la faveur de l’arrivée d’un président qui leur paraîtrait plus favorable, et avant même qu’il prenne contrôle de quoi que ce soit, s’en prennent aux populations musulmanes et se vengent de ce que la Séléka leur a fait subir – ce qui est déjà largement entamé – et nous voilà tenus pour responsables, aux yeux des populations musulmanes africaines. Que tout cela parte en quenouille et qu’il faille renoncer une fois le chaos installé, nous voilà non seulement tenus pour responsables, mais en plus décrédibilisés. Toute cette affaire est un merdier.

Au fait, ça dérange qui si la Centrafrique éclate ? Ce pays n'a jamais existé. Le rebut du découpage des 60s, Ce qui est resté quand les territoires coloniaux se sont constitués en Etats. Même son nom l'indique. Oubangui-Chari au sein de l’A.E.F. – deux rivières, dont l’une fait sa frontière au sud, et dont elle ne possède de l’autre que le haut bassin, l’essentiel faisant partie du Tchad – devenue République Centrafricaine aux indépendances. Un nom qui sonne creux. Comme dit l’autre, si le centre est partout, la circonférence n’est nulle part. Et fait le plus notable depuis a été de produire un Bokassa.

Est-il impératif POUR NOUS d'en pérenniser l'existence ? En a-t-on seulement les moyens ? Certes non. On pouvait essayer d’empêcher de nuire une bande de pillards massacreurs, On ne peut remettre sur pied un pays délabré et tout entier à feu et à sang, aux populations dressées les unes contre les autres. La Centrafrique s'est effondrée. Ce n'est pas à nous de reconstruire sur ses ruines, à l'identique ou autrement.


C'est le rôle des Africains. Si le pays doit être mis sous tutelle, que les voisins s'entendent pour le faire, le Tchad, les pays de la sous-région. L’Union Africaine a montré en Somalie qu’elle pouvait obtenir des résultats.