jeudi 27 juin 2013

Réfugiés dans le monde, remise en perspective

Tombé sur un document intéressant dans le Guardian* du 20 juin cette carte des réfugiés de par le monde. Elle remet bien les choses en perspective, détruit pas mal d’idées reçues, et réserve de grandes surprises.




   Qui sait que la Colombie compte le plus de réfugiés, et de loin au monde ? Déplacés intérieurs, certes, mais déplacés quand même.
   La Chine accueille largement plus de réfugiés qu’on ne la fuit. 
   Les Etats-Unis et le Canada attirent peu – ou reçoivent peu, autant ou moins que la France dirait-on. Et ya un petit point qui dit qu’au moins un certain nombre de US Citizens (à peu près autant que de Laotiens, de Yéménites, de Vénézuéliens ou de Marocains ) ont cherché refuge à l’étranger ! Perplexité.
   Même après avoir vu le chiffre, je n’imagine pas ce que peut-être un camp, comme celui de Dabaad, au Kenya, près de la frontière somalienne, où s’entassent  500 000 déplacés.  Y a-t-il même encore autant d’habitants à Mogadiscio ? Cela me semble insensé. J’en avais entendu parler, de Dabaad  (il y a des Somali à Lamu), mais j’étais loin d’imaginer cette taille. 500 000 ! Plus que des métropoles régionales françaises, de gens sans ressources et sans activités dépendants de l’aide.  Comment les organisations internationales gèrent-elles une population pareille ? Comment les terroristes shebabs ne s’y trouveraient pas comme poissons dans l’eau ? Pourquoi l’ONU n’a-t-il pas plutôt éclaté cette masse en plusieurs entités davantage contrôlables ?
   Qui eût dit que l’Irak et la Syrie recueillaient un nombre finalement substantiel de réfugiés étrangers ? Ils viennent d’où ? Des Irakiens réfugiés de longtemps et pris au piège en Syrie. Des Syriens pour qui l’Irak, finalement, est plus sûr que chez eux ?
   A ce propos, encore plus étonnant est le tableau qui va avec :



   On m’aurait demandé les 10 pays d’accueil du plus grand nombre de réfugiés, j’aurais presque eu tout faux. Comme quoi, le Top 10 des destinations des déplacés ne se superpose pas avec celles du Club Med : le Pakistan et l’Iran en tête !! Certes, l’Afghanistan s’y déverse de part et d’autre … mais vous le saviez ? On m’aurait dit l’Iran grande terre d’asile, j’aurais fait un contresens sur ce dernier mot.
   Autre surprise, la 3ème place de l’Allemagne.  Pas de voisin en guerre. Pas de lien historique avec des pays du Sud troublés. Comme le dit la légende de l’article. « Avec une population de 590 000 réfugiés, l’Allemagne laisse la France (218 000) et l’Angleterre (150 000) loin derrière. » Etonnant. Des réfugiés qui viennent d’où ? de partout ? J’ai mauvais esprit : les Allemands, mine de rien, n’attireraient-ils pas, parmi les réfugiés, les plus qualifiés, les mieux formés, les forces vives, pour renforcer leur démographie déclinante ?
   Un que je ne m’attendais pas à trouver là, bon 4ème, c’est le Kenya – Somalie oblige (cf.supra). Un demi-million dans un seul camp, ça vous booste dans le classement.
   La fin est tout aussi déroutante. Aucun des grands pays  au droitdelhommisme incantatoire. Absents les USA, le Royaume Uni ; absente la France aussi, quoiqu’on en ait. Mais la Chine, et voici qui nous en rabat. Car on se rend compte ici que le phénomène des réfugiés – considéré quantitativement – est d’abord un problème de proximité, de voisinage de conflit. Pas de grandeur d’âme. Et ce sont presque toujours des pays fort pauvres (Tchad, Ethiopie) qui en supportent le fardeau.
   Tiens un dernier point, sur la liste des pays dont la population fuit. Petite dernière, mais quand même 10ème au monde, et  avec 285 000 réfugiés, l’Erythrée d’Afeworki. Pour à peine plus de 6,2M d’habitants au total , ce n’est pas mal !


 * Eh non, je ne suis pas devenu un lecteur assidu de la bonne presse britannique. Le journal avait été laissé sur mon siège TGV. Bonne pioche.

mercredi 12 juin 2013

Fatai Rolling Dollar n'est plus

Avec sa façon d’enflammer une salle, de faire onduler les ankylosés, de sauter de la scène pour se joindre aux danseurs, malgré sa barbe ou sa moustache blanche, derrière ses lunettes de soleil, on le prenait pour un éternel jeune homme, en dépit de ses 85 ans.

C’est qu’il avait, il y a finalement assez peu, commencé une nouvelle vie, un revival au sens propre, avec ses deux nouveaux albums qui l’avaient remis sur scène, lui avaient rendu un public dont on se demande pourquoi il l’avait oublié – et lui du coup d’avoir pris une jeune épouse, sa choriste, toute verdeur retrouvée. C’est qu’il célébrait la vie, Fatai, par toutes les notes qu’il tirait de sa guitare, par toutes les inflexions de sa voix chaleureuse qui s’éraillait dans les aigus. Une voix aussi qu’il pouvait parfois approfondir dans les basses, pour retrouver les accents des plus deep deep blues men.

One two three four ! et l’orchestre démarrait, comme il pouvait aussi s’arrêter pile au geste, car il ne rigolait pas, le Vieux, quand il s’agissait de diriger.
Fatai avait démarré dans les années 50 et s’était imposé comme un des maîtres de l’Agidigbo, puis de la juju music, avant de tenir encore le devant de la scène high life dans les années 60. Mais le succès s’était progressivement éloigné, Fela et son Afro beat avait largement ringardisé tout le reste de la scène musicale de Lagos à partir des 70s, et Fatai était sorti de la lumière. Oublié.

C’est autour de 2000 que Steve Rhodes, la grande conscience de la musique nigériane, à l’occasion de la Fête de la Musique – c’est en tout cas ce qu’on m’a raconté – était allé le chercher dans la misère, sur son galetas de gardien de nuit où il croupissait, vieux, usé, à plus de 70 ans, comme on peut l’être après des années de survie au jour le jour. Comment Steve Rhodes l’a convaincu de reprendre sa guitare, de remonter sur scène interpréter ses morceaux d’antan, dont les moins de 20 ans ignoraient tout ? Lui non plus n’est plus là pour le raconter. Toujours est-il que grâce à lui Fatai est revenu chanter, au Centre Culturel Français, pour cette fête de toutes les musiques. Comment ensuite  a-t-on abouti au superbe album Fatai returns, chez Jazz Hole ? je ne le sais pas mais Kunle Tejuoso pourrait nous le dire.

Il n’était pas sorti depuis longtemps, l’album, quand je suis arrivé en 2002 à Lagos pour prendre la direction du CCF. On m’a vite signalé ce vieux monsieur, que la maison contribuait à remettre en selle, et la magie – le juju  - de cette musique a sitôt opéré. Fatai a vite été l’hôte de nos Happy Hours, cette belle formule où un artiste se produisait tous les samedis d’un mois, et il a chaque fois rempli - et je n’ose pas dire mis le feu à - La Paillotte.

Tout naturellement, c’est Fatai et son groupe que j’ai conseillé quand il s’est agi de faire venir des musiciens à Abuja, pour l’inauguration de l’antenne du Centre Culturel dans la nouvelle capitale. Il avait voyagé avec son orchestre dans le bus du CCF, et le Vieux, très alerte malgré les kilomètres, avait ravi notre ambassadeur et ses beaux invités. Ce qu’il avait perçu comme un honneur et une reconnaissance nous avait rapprochés.
Dès lors, tout en étant de tous les événements du CCF, il avait aussi gagné sa place entière dans cette merveilleuse soirée mensuelle à O’Jezz, à Yaba, dite « Elders’ Forum » qui tous les premiers dimanches réunissait tout ce que Lagos comptait de vieux musiciens de high life, juju, et autres styles. Avec Geneviève, on essayait de n’en rater aucun.

C’est tout naturellement aussi que, lorsqu’en 2003 le Festival de Rabat m’a sollicité pour leur envoyer un groupe nigérian de qualité, c’est à Fatai que j’ai fait appel. Ce jour-là, son visage a rayonné. Même s’il avait retrouvé succès et notoriété, il n’était jamais – y compris dans les belles jeunes années – sorti du pays. C’était sa première tournée internationale, le premier voyage en avion. Il m’en a toujours voué une immense gratitude, presque gênante, tant elle se manifestait sous forme d’un grand respect alors qu’à mes yeux c’était lui le Vieux, l’artiste, l’Oga. Mais après tout, j’ai profité des grandes accolades et des exclamations, si chaleureuses.

Quoi encore ? Il a sorti son second album, tout aussi excellent « Won kere si number one », pour lequel Jazz Hole a fait grande fête, comme on sait le faire là-bas pour un launching. Il a sorti aussi un VCD d’un concert live à O’Jezz, filmé un jour où nous nous y trouvions par le plus grand des hasards, avec une de mes filles en visite au Nigeria. Ce fut une surprise de se voir danser quand l’enregistrement est sorti. Ce VCD m’est très précieux, cher.

Enfin, Fatai était venu à notre soirée de départ en 2006, quand nous avons quitté Lagos. Il était là, il a chanté pour nous. Quel plus beau cadeau pouvait-il nous faire ?

Un seul regret : j’aurais voulu le faire venir en France, le faire connaître au public français, ce personnage, ce destin hors du commun, et surtout cette bonne musique qui entraîne et fait bouger en réjouissant le cœur. Ca n’a pas marché, dommage.


Fatai est parti, à un bel âge somme toute, après pas mal d’années d’une nouvelle jeunesse dont on pensait finalement qu’elle durerait encore longtemps, pour notre plus grand bonheur. A l’homme, au musicien, ma pensée émue. Sa musique est belle, elle retentira encore longtemps.

mardi 11 juin 2013

Pierre Mauroy : De Viris Illustribus ...

 Rien de nouveau, les hommes illustres ne servent qu’exemplaires, selon ce qu’on veut retenir d’eux. Hollande n’a pas failli à la règle, faisant de l’hommage à Mauroy, s’en proclamant ainsi héritier, une explication de sa propre démarche.
 Exercice niveau 4ème : retranscrire au présent un texte au passé. Je me suis autorisé quelques permutations dans le texte présidentiel, je n’ai pas cru en altérer la visée.  Sous l’hommage, la profession de foi, le manifeste politique. J’adhère à ces termes.
Réformer ce n’est pas renoncer. C’est réussir. Réformer, c’est se défaire de l’illusion des mots pour passer à la vérité des actes. Réformer, ce n’est pas céder à la réalité, c’est la saisir à la gorge pour la transformer.
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Oui, cela coûte, mais il faut savoir prendre des décisions parce qu’on les sait non pas inévitables, mais nécessaires pour reconvertir, redresser et repartir.Le destin de la France passe par l'Europe. Faire "cavalier seul" peut finir en une cavalcade sans lendemain. Il faut donc faire la France en construisant l'Europe.
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Tout est lié. Par facilité ou commodité de langage, on désigne cette orientation d’un même mot :« la rigueur ». Et le même homme, (…)  choisi (…) pour incarner la volonté de changement, conçoit, engage, applique cette politique. Il n’y a pas de contradiction. La rigueur, c’est la condition pour poursuivre la réforme, le changement
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Une belle leçon politique pour l’ensemble des Français. A savoir que l'on peut avoir le sens des responsabilités et conserver son idéal. Que l'on peut servir l'intérêt supérieur de l’Etat et garder ses valeurs. Que l’on peut concilier la justice sociale et l’ambition économique. Que l'on peut porter la modernité et préserver son authenticité. Que l'on peut défendre les classes populaires et travailler pour tous les Français. Que l'on peut être fidèle à sa tradition et préparer l’avenir. Que l’on peut faire de grandes réformes et faire preuve de réalisme. Que l'on peut se révéler homme d'Etat et demeurer homme du peuple. Que l'on peut être patriote et Européen. Que l’on peut exercer les plus hautes fonctions et rester un « militant ».
......…
Pierre MAUROY, c’était une stature imposante, une voix chaude avec des phrases longues, des intonations tumultueuses. Pierre MAUROY, c’était un visage bienveillant, solide, ferme. Mais Pierre MAUROY, c’était aussi un homme d’une grande finesse.
Finesse d’esprit, avec une intelligence des gens et des situations. Il voyait tout et parfois ne disait rien ou il le gardait pour lui et le confiait plus tard. Sans acrimonie, car Pierre MAUROY n’avait pas besoin d’être méchant pour être craint. Finesse politique pour parvenir habilement – quelques fois dans des circonstances laborieuses – à ses fins.

J’ai laissé presque intacte la dernière partie. Changer le nom ou la personne ne convenait pas. Mais ce qui est mis en valeur est aussi exemplaire. De Illustribus ….