mercredi 20 novembre 2013

Omo Bello, la nouvelle « voix d’or »



(English version, below)



En feuilletant mon magasine, je tombe sur cette page de publicité : Omo Bello, La nouvelle « voix d’or ». Surprise et ravissement. Je n’avais pas de ses nouvelles – je m’étais demandé- depuis son départ pour le conservatoire de Toulouse avec une bourse du gouvernement français. La voilà donc sur papier glacé, promue pour son enregistrement de Mahler. Je ne suis pas assez mélomane pour suivre l’actualité lyrique, et son ascension m’avait échappé. Quel chemin parcouru depuis que je l’avais vue chanter, toute jeune et frêle, sur la scène du MUSON Centre, à Lagos !

Le MUSON

Une sacrée institution, cette Musical Society of Nigeria ( MUSON ), dont les biographies disponibles d’Omo Bello ne disent mot. Je ne m’attendais pas à trouver rien de tel, en arrivant à Lagos au Centre Culturel Français. C’est en fait une société de musique, comme on disait à une époque, dont la bonne société cultivée et distinguée de Lagos est membre, et bienfaitrice. Musique classique, il s’entend. Le MUSON organise des soirées musicales, invite des solistes et des orchestres de chambre. Un festival annuel, virtuoses à l’affiche, attire le beau monde en foule. LE MUSON Center occupe, au contact du Lagos historique et du beau quartier d’Ikoyi,  une grande bâtisse classe, disposant d’un restaurant gastronomique, de deux grandes salles de spectacle dont une en gradins que nous avons souvent utilisée pour nos spectacles en tournée, mais aussi de salles de répétition, etc. Une institution totalement locale, avec laquelle j’ai eu un très grand plaisir à collaborer.
Le bâtiment du MUSON Center
Mais le MUSON gère aussi en son sein une école de musique, de bonne tenue, où les enfants de la bourgeoisie – et de l’aristocratie – lagosienne viennent s’initier, et au-delà, aux grands instruments. Je crois me souvenir qu’un système de bourse, même, soutien les jeunes talents moins fortunés : si on veut entendre de la bonne musique, il faut s’en donner les moyens, car en orchestre les élèves chaque année se produisent pendant le festival.

Omo Bello

Je ne me souviens plus des circonstances exactes. Etait-il en tournée ou plutôt en mission, ce musicien, prof au conservatoire je crois ? Etait-il venu évaluer le potentiel nigérian ? ou préparer des tournées ? Toujours est-il qu’à l’occasion de sa venue j’avais organisé avec l’administration du MUSON une matinée musicale. Nous n’étions que quelques-uns dans la salle, nos hôtes, l’expert en mission, l’attaché culturel qui était venu d’Abuja, moi. Su r la grande scène se sont succédés de jeunes musiciens et chanteurs, seuls ou en formation, des solos des duos.
Parmi eux, une frêle jeune fille, à peine dix-sept ans peut-être, dans un duo de Don Giovanni, ou seule pour un Ave Maria. Limpide beauté, un ravissement. Même si ses camarades étaient très bons, sans aucun doute elle sortait du lot. Nous avons passé un superbe moment musical, et j’en suis reparti la tête encore enchantée de cette jeune voix limpide, pur cristal, mais avec aussi sa force, et une personnalité déjà affirmée.
Quelques temps après, j’avais le plaisir de transmettre la nouvelle au MUSON. Notre Ambassade à Abuja proposait à la jeune Omo Bello une bourse pour aller faire ses classes en France, au Conservatoire. La réponse est venue, positive et reconnaissante, mais ce serait pour un peu plus tard. Omo était engagée dans un cycle d’études qu’il convenait qu’elle finisse, avant de partir sur une autre voie. Sagesse, retenue, volonté et maîtrise de soi, sous un abord de charmante modestie, comme on dirait d’une jeune fille de bonne éducation. Les traits que j’ai retrouvés chaque fois que nous nous sommes rencontrés. Car pendant les quelques mois avant son départ, nous l’avons sollicitée.
Ce fut d’abord la Fête de la Musique. Chaque année, avec plusieurs partenaires musicaux, dont le New African Shrine de Femi Kuti, le CCF organisait plusieurs concerts, et en trois lieux plus de 50 groupes et musiciens de tous les styles de Lagos se succédaient, jusque tard dans la nuit. La fête de tout le monde, la fête de toutes les musiques. Cette année-là, j’ai voulu que l’art lyrique soit aussi présent. Ainsi en fin d’après midi le public se pressait déjà dans la grande cour du CCF où une scène avait été dressée en plein air. Un public bigarré, nombreux, populaire,  peu d’étrangers, surtout des jeunes, venu applaudir gratos les artistes qu’ils aiment bien, puisque l’affiche était assez prestigieuse. Ils avaient déjà eu du reggae, du hip-hop, de l’afrobeat, du juju, du high- life. Ils en attendaient encore. Et une frêle silhouette s’est approchée du micro, seule en scène, la sono a envoyé les premières notes, sa voix s’est envolée, radieuse et volontaire. L’Amour est un enfant de Bohème … Stupeur dans l’assistance, dont la plupart n’avait jamais entendu une musique pareille, une telle façon de chanter. Quelques murmures, de l’incertitude, et puis plus rien. Le public était sous le charme. Après Carmen, ce furent deux autres morceaux, dont l’Ave Maria de Gounod, et je ne sais plus quel autre. Omo Bello avait fait découvrir le bel canto à un public nouveau, difficile, pas habitué aux politesses, qui avait aimé, qui l’avait applaudie.
Trois semaines après, notre Consul Général, Joël Louvet, qui accordait un grand intérêt à l’action culturelle, lui a demandé d’interpréter la Marseillaise à l’occasion de la réception du 14 juillet, dans les jardins d’un palace de la ville. Ce fut beau. Pas tout à fait Jessie Norman Place de la Concorde (ou c’était la Bastille ?), mais un beau moment musical, émouvant à des milliers de kilomètres de la France, touchante illustration d’amitié avec le Nigeria.

Courte-échelle

Omo Bello, son diplôme en poche, est donc partie pour le Conservatoire, à Toulouse d’abord, avec des perspectives de rejoindre Paris, si  cela marchait très bien. Cela a dû marcher. Je n’ai pas eu avec elle la proximité, la chaleur du contact, le suivi ultérieur que j’ai pu avoir avec d’autres artistes, qui eux aussi font un très beau parcours international, et expriment tout leur talent. Je pense au danseur Qudus Onikeku, qui était la saison dernière l’hôte du Festival d’Avignon et qui présente dans le monde entier ses solos, ses chorégraphies. Je pense à Emeka Okereke, le photographe, et aussi aux autres grands photographes de Lagos, que j’ai exposés au CCF encore tout jeunots : James Uche Iroha, Kelechi Amadi Obi, qui ont aussi une réputation internationale. Je pense bien entendu à Asa, passée des planches de La Paillotte du CCF, aux disques d’or.

Accompagner tous ceux-là, et bien d’autres, leur servir de tremplin, leur donner le coup de pouce pour exprimer leur talent, ce fut passionnant et exaltant. Les voir prendre leur envol, rencontrer le succès, dépasser même ce qu’on pouvait imaginer procure une forte émotion. Quelque chose de comparable à ce que l’on ressent à voir ses enfants réussir. Même si tout le mérite revient à eux. Si un jour l’improbable grand Saint Pierre me demande ce que j’ai fait dans ma vie, je répondrai peut-être « courte-échelle », ce qui n’est pas si mal.


Omo Bello, the new "golden voice"

Flipping through my magazine, I came across this page of advertising: Omo Bello, The new «golden voice." Surprise and delight. I had no news of her - I sometimes wondered -, since her departure for Toulouse Conservatory with a scholarship from the French government. So she reappears now on glossy paper, promoted for his recording of Mahler . I'm not quite a classical music lover to follow the news of bel canto , and I did not notice her success. What a long way since I saw her sing, very young and frail on the stage of MUSON Centre in Lagos !
the MUSON
What an institution , that Musical Society of Nigeria ( MUSON )! The available biographies of Omo Bello are silent about the role it played at her beginnings. I did not expect to find anything like it, when I arrived in Lagos as Director of the French Cultural Centre . This is actually a music society, - classical music, I mean - of which the beautiful cultivated and distinguished society of Lagos is a member and benefactor.. The MUSON organizes musical soirées , invites soloists and chamber orchestras . An annual festival, featuring virtuosos,  attracts the beautiful people in numbers. THE MUSON Center is situated at the junction of the historical LagosIsland and the beautiful Ikoyi area , a large classical building with a gourmet restaurant , two large hall and theatre that we often use for our touring artists but also rehearsal rooms, etc. . A totally local institution, which I had a great pleasure to collaborate with.
But MUSON also manages a school of music, of high standard , where the children of the Lagos bourgeoisie - and the aristocracy - come to learn , and beyond , the classical instruments. If I remember well, scholarships and sponsorships help the less well off young talent: if you want to enjoy good music, it is necessary to provide the means, because the students’ orchestra performs every year during the festival.
Omo Bello
I do not remember the exact circumstances. Was he on tour or on a  mission , this musician , teacher at the conservatory who came to visit Lagos? Did he come to assess the Nigerian potential? or prepare a tour ? Still, on the occasion of his arrival I had arranged with the administration of MUSON a musical morning session. We were only a few in the hall, our guests , the expert, the cultural attaché coming from Abuja, myself. On the large stage was a succession of young musicians and singers, alone or in group, solos, duets.
Among them, a frail girl, hardly seventeen perhaps, sang in duet an air from Don Giovanni , and, solo, an Ave Maria . Limpid beauty, a delight. While her classmates were very good, no doubt she stood above the flock . We had a great musical moment, and I left still enchanted, my head filled with this young clear voice, pure crystal, but also strong, an already affirmed personality.
Sometime later, I had the pleasure to convey the news to MUSON. Our Embassy in Abuja granted to young Omo Bello a scholarship to France to follow classes at the Conservatoire . The answer came, positive and grateful, but it would be for sometime later. Omo was engaged in a degree courseand she would rather complete it before starting on another direction . Wisdom, restraint and self-control, under a discreet modesty, as it suits a well educated young girl. The characteristics of the personality whenever we met. As we made some requests to her during the few months left before her departure.
First came World Music Day. Every year, with several musical partners, including the New African Shrine of Femi Kuti , CCF organized several concerts , and in three venues more than 50 bands and musicians of Lagos would perform , till late into the night . A festival for everyone, the festival of all music. That year, I wanted the opera also to be present . In the late afternoon, the public was already crowded into the courtyard of the CCF where a stage had been erected in the open air . A colorful public, numerous , popular, few foreigners , mostly young people , had come to applaud, free of charge, the artists they like , since the program featured quite prestigious names. They already had reggae, hip- hop, afrobeat , juju , high-life . They were waiting for more. Then a frail figure approached the microphone, alone on stage. The sound track sent the first notes , her voice raised , radiant and full of power. “L’Amour est un enfant de Bohême ...” The audience got flabbergasted. Most of them had never heard such a music , such a way of singing . Some murmurs of uncertainty, and then nothing. The audience was under the spell. After Carmen  came two other pieces , including Gounod 's Ave Maria , and I don’t recall what else. Omo Bello had introduced the bel canto to a new audience, a difficult one, not familiar with listening  politely. They loved it, they applauded.
Three weeks later, our Consul General, Joel Louvet , who had a great interest in the cultural activities, asked Omo Bello to interpret the Marseillaise during the reception on Bastille’s Day, in the gardens of a palace in the city. It was beautiful. Not quite like Jessie Norman Place de la Concorde (or it was the Bastille?). But a beautiful musical moment, very moving, thousands of kilometers from France , a touching illustration of friendship with Nigeria.
Helping hand
Omo Bello, after graduating, left to attend a School of Music , first in Toulouse , with the prospect of joining Paris , if all would worked very well. Apparently it did! I have not been so close with her. Not much like the warmth of contact and the subsequent follow up that I have had with some other artists, who are also doing a great international career and are expressing  their talents fully. I have in mind the dancer Qudus Onikeku , who was the host last season of the Avignon Festival and performs worldwide his solos and choreographies. I have in mind Emeka Okereke , the photographer , and also other great photographers of Lagos, I exhibited in CCF when at their beginning : Uche James Iroha , Kelechi Amadi Obi , who also have an international reputation. I also, of course, have in mind Asa who started on the stage of Paillotte in CCF and reached golden records.

Accompanying all these artists, and many others, serving as a springboard , giving them the boost to express their talent , was quite exciting and exhilarating . To see them take off , meet with success , even beyond what we could imagine, it provides a strong emotion. Something similar to what it feels like to see his children succeed. Even if all the credit goes to them. If one day the unlikely great Saint Peter asks me what good I've done in my life, my answer may be "helping hand" , which after all is not so bad.

mardi 15 octobre 2013

Férions la Fête du Mouton

Aujourd’hui , les Musulmans du monde célèbrent leur fête religieuse la plus importante de l’année, celle qui commémore le sacrifice d’Abraham. C'est-à-dire le jour où le premier des prophètes, prêt à sacrifier son fils à son dieu, a vu sa main arrêtée et s’est fait dire que le sacrifice d’un mouton aurait la même valeur, symbolique, d’allégeance.
Ce geste, cet événement, marque pour les trois religions du Livre l’origine de l’Alliance scellée avec le Dieu unique. C’est le fondement du monothéisme, le début reconnu par Israélites, Chrétiens et Musulmans, de ce qui fait l’essence de leur foi.
Quand la question se posera, un jour, de reconnaître symboliquement la diversité des cultes en France, et d’accorder symboliquement un jour férié à la seconde des religions du pays, Idd el Kebir pourra être la célébration la plus consensuelle, celle où pourront se retrouver aussi les autres cultes et églises monothéistes, dans la célébration de leur origine commune, de ce qui les rassemble.
Même les incroyants pourront s’y associer en voyant aussi dans le progrès certain que constitue le renoncement au sacrifice humain le symbole du passage de la barbarie à l’humanité.
Donc voilà une fête qui, en accordant une reconnaissance plénière à une partie substantielle de la population, peut servir à manifester l’intégration de celle-ci, à la faire mieux connaître, et à rappeler l’unité de racines là où trop souvent sont mises en exergue les divisions.
On dira qu’il y a assez de jours fériés comme ça, et qu’il ne faut pas en rajouter. Cela fait sens.
On peut alors imaginer de retirer de la liste une des fêtes catholiques, finalement plutôt nombreuses. 
Je propose de banaliser le 15 août, l’Assomption.  En pleines vacances, ce jour passe inaperçu, sinon comme signal de l’approche du retour au boulot. Cela n’affecterait pas les droits acquis du loisir, comme les grands ponts du printemps. La dimension religieuse de cette fête échappe à la plupart, hormis les Catholiques très pratiquants, qui pourront d’ailleurs toujours révérer la Vierge ce jour là, même si les autres travaillent (ou sont en congé). Enfin, c’est celle des fêtes religieuses qui est la plus clivante, liée à un des dogmes les moins admis et des plus récents.

Mais ce n’est que suggestion de mécréant, laïque, qui reconnaît cependant au fait religieux une importance de taille dans le tissus social, et qui considère qu'accorder de la considération à ceux qui y prêtent foi est une composante essentielle de la laïcité.

samedi 5 octobre 2013

L'infâmie de demain

Après les derniers naufrages
Il y a eu la Collaboration, puis la Shoha et les déportations de Juifs, il y a l’esclavage et la traite négrière, la colonisation et ses expositions d’indigènes in situ, illustrées récemment au Musée Branly, sous le patronage des plus respectables personnalités. Autant d’infamies remontées du passé, où l’horreur et le crime ont été perpétrés chez nous, par les nôtres. Auxquelles la population globalement a assisté passive, indifférente, en participant parfois, en bénéficiant – plus ou moins directement – toujours, même si sans le savoir. Et la dénonciation, indisspensable pour les générations qui montent, de dire en sous-jacent que nous sommes tous implicitement les complices.
Je ne doute pas que la prochaine de ces infamies, qui sera montrée du doigt dans cinq, dix, vingt ans, sera le sort réservé aux migrants, qui meurent noyés en Méditerranée ou dans l’Atlantique, dans les soutes des avions, en traversant le désert, pris aux pièges des conflits des pays de transit, victimes des exactions des passeurs... Ceux qui tentent tout, risquent leur vie, pour fuir leur pays et atteindre la galère qui leur semble un fabuleux espoir.
Pas de jour, pas de mois, sans que le nombre de morts ne soit lourd. Pour ne parler que de ceux qui sont connus, recensés, retrouvés. Un dixième, un centième de ceux qui disparaissent à jamais dans les sables ou les eaux ?
Car si certains tentent de rejoindre l’Europe à tout prix, d’autres ont pour but Mayotte, le Guyane, ou la péninsule arabe, l’Australie, les pays prospères d’Asie.
Il y aura bientôt des monuments, des stèles à Lampedusa, à Gibraltar. On conservera des pans de barbelés autour de Ceuta, pour mémoire. Les murs qui s’érigent à des frontières projetteront leurs sinistres ombres. Des historiens tenteront de dresser des listes de victimes. De chiffrer.
Nul doute.
Pour autant l’indignation, la compassion, naturelles et nécessaires, ne font rien avancer, que monter d’un cran quand les chiffres atteignent des records, que se déliter quand on revient à l’ordinaire.
Qu’est-ce qui pousse tous ces jeunes pour la plupart à risquer leur vie, en connaissance de cause, pour gagner des rivages hostiles où ils vont, ils le savent, galérer malgré l’espoir de s’en sortir quand même ?  Comment les dissuader de courir ce risque fou ?  
Car  la parole de Rocard reste incontournable : on ne peut accueillir tous les candidats à l’émigration.

Que faire alors ? « Accueillir largement, expulser résolument » me semble depuis longtemps être la politique humaine, raisonnable  et de gauche à suivre. Il faut que je développe ça, cessant de procrastiner.

jeudi 27 juin 2013

Réfugiés dans le monde, remise en perspective

Tombé sur un document intéressant dans le Guardian* du 20 juin cette carte des réfugiés de par le monde. Elle remet bien les choses en perspective, détruit pas mal d’idées reçues, et réserve de grandes surprises.




   Qui sait que la Colombie compte le plus de réfugiés, et de loin au monde ? Déplacés intérieurs, certes, mais déplacés quand même.
   La Chine accueille largement plus de réfugiés qu’on ne la fuit. 
   Les Etats-Unis et le Canada attirent peu – ou reçoivent peu, autant ou moins que la France dirait-on. Et ya un petit point qui dit qu’au moins un certain nombre de US Citizens (à peu près autant que de Laotiens, de Yéménites, de Vénézuéliens ou de Marocains ) ont cherché refuge à l’étranger ! Perplexité.
   Même après avoir vu le chiffre, je n’imagine pas ce que peut-être un camp, comme celui de Dabaad, au Kenya, près de la frontière somalienne, où s’entassent  500 000 déplacés.  Y a-t-il même encore autant d’habitants à Mogadiscio ? Cela me semble insensé. J’en avais entendu parler, de Dabaad  (il y a des Somali à Lamu), mais j’étais loin d’imaginer cette taille. 500 000 ! Plus que des métropoles régionales françaises, de gens sans ressources et sans activités dépendants de l’aide.  Comment les organisations internationales gèrent-elles une population pareille ? Comment les terroristes shebabs ne s’y trouveraient pas comme poissons dans l’eau ? Pourquoi l’ONU n’a-t-il pas plutôt éclaté cette masse en plusieurs entités davantage contrôlables ?
   Qui eût dit que l’Irak et la Syrie recueillaient un nombre finalement substantiel de réfugiés étrangers ? Ils viennent d’où ? Des Irakiens réfugiés de longtemps et pris au piège en Syrie. Des Syriens pour qui l’Irak, finalement, est plus sûr que chez eux ?
   A ce propos, encore plus étonnant est le tableau qui va avec :



   On m’aurait demandé les 10 pays d’accueil du plus grand nombre de réfugiés, j’aurais presque eu tout faux. Comme quoi, le Top 10 des destinations des déplacés ne se superpose pas avec celles du Club Med : le Pakistan et l’Iran en tête !! Certes, l’Afghanistan s’y déverse de part et d’autre … mais vous le saviez ? On m’aurait dit l’Iran grande terre d’asile, j’aurais fait un contresens sur ce dernier mot.
   Autre surprise, la 3ème place de l’Allemagne.  Pas de voisin en guerre. Pas de lien historique avec des pays du Sud troublés. Comme le dit la légende de l’article. « Avec une population de 590 000 réfugiés, l’Allemagne laisse la France (218 000) et l’Angleterre (150 000) loin derrière. » Etonnant. Des réfugiés qui viennent d’où ? de partout ? J’ai mauvais esprit : les Allemands, mine de rien, n’attireraient-ils pas, parmi les réfugiés, les plus qualifiés, les mieux formés, les forces vives, pour renforcer leur démographie déclinante ?
   Un que je ne m’attendais pas à trouver là, bon 4ème, c’est le Kenya – Somalie oblige (cf.supra). Un demi-million dans un seul camp, ça vous booste dans le classement.
   La fin est tout aussi déroutante. Aucun des grands pays  au droitdelhommisme incantatoire. Absents les USA, le Royaume Uni ; absente la France aussi, quoiqu’on en ait. Mais la Chine, et voici qui nous en rabat. Car on se rend compte ici que le phénomène des réfugiés – considéré quantitativement – est d’abord un problème de proximité, de voisinage de conflit. Pas de grandeur d’âme. Et ce sont presque toujours des pays fort pauvres (Tchad, Ethiopie) qui en supportent le fardeau.
   Tiens un dernier point, sur la liste des pays dont la population fuit. Petite dernière, mais quand même 10ème au monde, et  avec 285 000 réfugiés, l’Erythrée d’Afeworki. Pour à peine plus de 6,2M d’habitants au total , ce n’est pas mal !


 * Eh non, je ne suis pas devenu un lecteur assidu de la bonne presse britannique. Le journal avait été laissé sur mon siège TGV. Bonne pioche.

mercredi 12 juin 2013

Fatai Rolling Dollar n'est plus

Avec sa façon d’enflammer une salle, de faire onduler les ankylosés, de sauter de la scène pour se joindre aux danseurs, malgré sa barbe ou sa moustache blanche, derrière ses lunettes de soleil, on le prenait pour un éternel jeune homme, en dépit de ses 85 ans.

C’est qu’il avait, il y a finalement assez peu, commencé une nouvelle vie, un revival au sens propre, avec ses deux nouveaux albums qui l’avaient remis sur scène, lui avaient rendu un public dont on se demande pourquoi il l’avait oublié – et lui du coup d’avoir pris une jeune épouse, sa choriste, toute verdeur retrouvée. C’est qu’il célébrait la vie, Fatai, par toutes les notes qu’il tirait de sa guitare, par toutes les inflexions de sa voix chaleureuse qui s’éraillait dans les aigus. Une voix aussi qu’il pouvait parfois approfondir dans les basses, pour retrouver les accents des plus deep deep blues men.

One two three four ! et l’orchestre démarrait, comme il pouvait aussi s’arrêter pile au geste, car il ne rigolait pas, le Vieux, quand il s’agissait de diriger.
Fatai avait démarré dans les années 50 et s’était imposé comme un des maîtres de l’Agidigbo, puis de la juju music, avant de tenir encore le devant de la scène high life dans les années 60. Mais le succès s’était progressivement éloigné, Fela et son Afro beat avait largement ringardisé tout le reste de la scène musicale de Lagos à partir des 70s, et Fatai était sorti de la lumière. Oublié.

C’est autour de 2000 que Steve Rhodes, la grande conscience de la musique nigériane, à l’occasion de la Fête de la Musique – c’est en tout cas ce qu’on m’a raconté – était allé le chercher dans la misère, sur son galetas de gardien de nuit où il croupissait, vieux, usé, à plus de 70 ans, comme on peut l’être après des années de survie au jour le jour. Comment Steve Rhodes l’a convaincu de reprendre sa guitare, de remonter sur scène interpréter ses morceaux d’antan, dont les moins de 20 ans ignoraient tout ? Lui non plus n’est plus là pour le raconter. Toujours est-il que grâce à lui Fatai est revenu chanter, au Centre Culturel Français, pour cette fête de toutes les musiques. Comment ensuite  a-t-on abouti au superbe album Fatai returns, chez Jazz Hole ? je ne le sais pas mais Kunle Tejuoso pourrait nous le dire.

Il n’était pas sorti depuis longtemps, l’album, quand je suis arrivé en 2002 à Lagos pour prendre la direction du CCF. On m’a vite signalé ce vieux monsieur, que la maison contribuait à remettre en selle, et la magie – le juju  - de cette musique a sitôt opéré. Fatai a vite été l’hôte de nos Happy Hours, cette belle formule où un artiste se produisait tous les samedis d’un mois, et il a chaque fois rempli - et je n’ose pas dire mis le feu à - La Paillotte.

Tout naturellement, c’est Fatai et son groupe que j’ai conseillé quand il s’est agi de faire venir des musiciens à Abuja, pour l’inauguration de l’antenne du Centre Culturel dans la nouvelle capitale. Il avait voyagé avec son orchestre dans le bus du CCF, et le Vieux, très alerte malgré les kilomètres, avait ravi notre ambassadeur et ses beaux invités. Ce qu’il avait perçu comme un honneur et une reconnaissance nous avait rapprochés.
Dès lors, tout en étant de tous les événements du CCF, il avait aussi gagné sa place entière dans cette merveilleuse soirée mensuelle à O’Jezz, à Yaba, dite « Elders’ Forum » qui tous les premiers dimanches réunissait tout ce que Lagos comptait de vieux musiciens de high life, juju, et autres styles. Avec Geneviève, on essayait de n’en rater aucun.

C’est tout naturellement aussi que, lorsqu’en 2003 le Festival de Rabat m’a sollicité pour leur envoyer un groupe nigérian de qualité, c’est à Fatai que j’ai fait appel. Ce jour-là, son visage a rayonné. Même s’il avait retrouvé succès et notoriété, il n’était jamais – y compris dans les belles jeunes années – sorti du pays. C’était sa première tournée internationale, le premier voyage en avion. Il m’en a toujours voué une immense gratitude, presque gênante, tant elle se manifestait sous forme d’un grand respect alors qu’à mes yeux c’était lui le Vieux, l’artiste, l’Oga. Mais après tout, j’ai profité des grandes accolades et des exclamations, si chaleureuses.

Quoi encore ? Il a sorti son second album, tout aussi excellent « Won kere si number one », pour lequel Jazz Hole a fait grande fête, comme on sait le faire là-bas pour un launching. Il a sorti aussi un VCD d’un concert live à O’Jezz, filmé un jour où nous nous y trouvions par le plus grand des hasards, avec une de mes filles en visite au Nigeria. Ce fut une surprise de se voir danser quand l’enregistrement est sorti. Ce VCD m’est très précieux, cher.

Enfin, Fatai était venu à notre soirée de départ en 2006, quand nous avons quitté Lagos. Il était là, il a chanté pour nous. Quel plus beau cadeau pouvait-il nous faire ?

Un seul regret : j’aurais voulu le faire venir en France, le faire connaître au public français, ce personnage, ce destin hors du commun, et surtout cette bonne musique qui entraîne et fait bouger en réjouissant le cœur. Ca n’a pas marché, dommage.


Fatai est parti, à un bel âge somme toute, après pas mal d’années d’une nouvelle jeunesse dont on pensait finalement qu’elle durerait encore longtemps, pour notre plus grand bonheur. A l’homme, au musicien, ma pensée émue. Sa musique est belle, elle retentira encore longtemps.

mardi 11 juin 2013

Pierre Mauroy : De Viris Illustribus ...

 Rien de nouveau, les hommes illustres ne servent qu’exemplaires, selon ce qu’on veut retenir d’eux. Hollande n’a pas failli à la règle, faisant de l’hommage à Mauroy, s’en proclamant ainsi héritier, une explication de sa propre démarche.
 Exercice niveau 4ème : retranscrire au présent un texte au passé. Je me suis autorisé quelques permutations dans le texte présidentiel, je n’ai pas cru en altérer la visée.  Sous l’hommage, la profession de foi, le manifeste politique. J’adhère à ces termes.
Réformer ce n’est pas renoncer. C’est réussir. Réformer, c’est se défaire de l’illusion des mots pour passer à la vérité des actes. Réformer, ce n’est pas céder à la réalité, c’est la saisir à la gorge pour la transformer.
..........
Oui, cela coûte, mais il faut savoir prendre des décisions parce qu’on les sait non pas inévitables, mais nécessaires pour reconvertir, redresser et repartir.Le destin de la France passe par l'Europe. Faire "cavalier seul" peut finir en une cavalcade sans lendemain. Il faut donc faire la France en construisant l'Europe.
..........
Tout est lié. Par facilité ou commodité de langage, on désigne cette orientation d’un même mot :« la rigueur ». Et le même homme, (…)  choisi (…) pour incarner la volonté de changement, conçoit, engage, applique cette politique. Il n’y a pas de contradiction. La rigueur, c’est la condition pour poursuivre la réforme, le changement
.….....
Une belle leçon politique pour l’ensemble des Français. A savoir que l'on peut avoir le sens des responsabilités et conserver son idéal. Que l'on peut servir l'intérêt supérieur de l’Etat et garder ses valeurs. Que l’on peut concilier la justice sociale et l’ambition économique. Que l'on peut porter la modernité et préserver son authenticité. Que l'on peut défendre les classes populaires et travailler pour tous les Français. Que l'on peut être fidèle à sa tradition et préparer l’avenir. Que l’on peut faire de grandes réformes et faire preuve de réalisme. Que l'on peut se révéler homme d'Etat et demeurer homme du peuple. Que l'on peut être patriote et Européen. Que l’on peut exercer les plus hautes fonctions et rester un « militant ».
......…
Pierre MAUROY, c’était une stature imposante, une voix chaude avec des phrases longues, des intonations tumultueuses. Pierre MAUROY, c’était un visage bienveillant, solide, ferme. Mais Pierre MAUROY, c’était aussi un homme d’une grande finesse.
Finesse d’esprit, avec une intelligence des gens et des situations. Il voyait tout et parfois ne disait rien ou il le gardait pour lui et le confiait plus tard. Sans acrimonie, car Pierre MAUROY n’avait pas besoin d’être méchant pour être craint. Finesse politique pour parvenir habilement – quelques fois dans des circonstances laborieuses – à ses fins.

J’ai laissé presque intacte la dernière partie. Changer le nom ou la personne ne convenait pas. Mais ce qui est mis en valeur est aussi exemplaire. De Illustribus ….

mardi 23 avril 2013

Mesure et proportion


La tension que produit le marasme actuel engendre d’étonnants excès, des emballements. Tel événement provoque des émotions énormes, des réactions et même des conséquences disproportionnées, parfois sans commune mesure avec les faits. Deux exemples, Cahuzac et Boston.
Cahuzac. Il a fraudé le fisc. Il a dissimulé sur un compte à l’étranger 600 000 euros depuis de nombreuses années, provenant semble-t-il de versements faits par des entreprises pharmaceutiques au propriétaire de clinique qu’il était. Pour autant que le montant et l’origine des fonds soient avérés, ou de cet ordre, y a-t-il de quoi envoyer au bûcher ? Entendons nous bien, frauder le fisc est répréhensible, et doit être sanctionné. Il est normal que toute la lumière soit faite sur l’étendue de la fraude, et que le contrevenant soit sanctionné. Cela dit, avec 600 000, on n’a pas un très grand appartement à Paris. Ce n’est pas une bien grande fortune, à l’aune des revenus mensuels d’un footeux, des primes de gens de la finance, de certaines dissimulations récemment apparues ou d’autres très légales réductions d’impôts par niches fiscales ou gestion optimisée. Par ailleurs, a priori, ce n’est pas de l’argent public qui a été détourné, même si cela en dit certainement long sur les pratiques de l’industrie pharmaceutique ou médicale, mais qui en doutait encore ? et quel pourcentage de praticiens se sont laissés séduire par les sirènes de laboratoires, en liquide ou en nature, congrès tropicaux et autres. Mais il fallait déclarer, car c’est une obligation citoyenne. Cependant qui n’a pas – pour peu qu’il en ait eu l’occasion – (été tenté de) frauder dans son existence, omis de déclarer un bien ou un revenu, minimiser une valeur ou la dissimuler lors d’une succession, travaillé ou employé au noir, que sais-je encore ? A entendre le concert des offusqués vertueux contre le fraudeur, en ces temps de catho revival, j’ai beaucoup pensé à qui jette la première pierre.
Certes, et on est bien d’accord, la question n’est pas là. Mais ailleurs, double. Elle est d’abord que Cahuzac n’est pas un citoyen lambda, et que quand on se mêle de vouloir être élu, et encore plus d’assumer des charges officielles importantes dans la République, il y a des choses qu’on ne peut se permettre. Quand on planque du pognon quelque part, on n’accepte pas d’être nommé ministre du Budget, Mais aussi, on ne se laisse pas élire président de la commission des finances de l’Assemblée par la majorité précédente – choses qui a peu été soulignée par une droite qui accuse d’aveuglement et insinue la complicité. Le tout même si dans l’exercice de ses fonctions on fait preuve d’une grande rigueur et si on traque avec zèle le fraudeur. Nul n’a encore remis en cause la compétence et l’efficacité de Cahuzac, sauf à lui reprocher sa rigueur. Certes Napoléon avait chargé Vidocq de diriger sa police, mais chacun connaissait ses antécédents, et ce n’était pas la logique de la nomination de notre dissimulateur.
Car la deuxième question, c’est la déloyauté. Avec ce qui n’est somme toute qu’une minable affaire de fraude fiscale, mais un mensonge invraisemblable, inouï, Cahuzac a plombé toute une politique, jeté le discrédit, rendu inaudible une parole, dédouané des turpitudes autrement sérieuses. Il a floué tous ceux qui ont porté la gauche au pouvoir, et qui mettent leurs espoirs en elle, tout taraudés qu’ils sont par le doute. Tout ça pour 666 fois moins que l’argent du contribuable qui a été donné à Tapie, 83 fois moins que ce que le fils Kadhafi dit avoir été donné par papa à Sarko, 6,6 fois moins que le liquide sorti du compte suisse de Bettancourt pour ses œuvres. 
Cela ne disculpe pas pour autant ce salaud de Cahuzac qui nous a mis dans une telle merde. Son invraisemblable comportement est impardonnable. Mais il faut garder à l’esprit les proportions, et dénoncer les réalités de l’évasion fiscale, des optimisations – légales – largement abusives.
L’attentat de Boston. Trois morts, 160 blessés, des gens en plein loisir. C’est horrible. Mais trois morts. Bien moins que beaucoup d’attentats qui quotidiennement, ici ou là, font bien davantage de victimes. Il est très vite apparu que cela était bien artisanal, relevant davantage d’une initiative relativement isolée que d’une organisation lourde. Enfin, la police a fait son boulot, elle a été efficace, elle a mobilisé les grands moyens et a rapidement retrouvés les (présumés) coupables, qui en plus ne s’étaient pas montrés particulièrement malins. C’est grave, horrible. Mais au final cela reste un événement de basse intensité, l’acte d’un (de deux) de ces individus isolés mais très dangereux, dont la radicalisation soudaine et secrète à un moment les amène à passer au crime au nom et dans le sillage d’une mouvance djihadiste contre laquelle on n’a pas fini de lutter et de se prémunir. Somme toute quelque chose qui, au fil des ans, devient assez ordinaire.
Certes, cela s’est passé sur le territoire américain. Ils n’y sont pas encore accoutumé – c’est la deuxième fois, après plusieurs des tentatives entravées à temps, si l’on excepte bien entendu les tueries à l'arme à feu par  fous, qui leur sont familiers – et ça leur fait drôle, l’émotion est grande, on le comprend. Que cela ait eu lieu au cours d’un loisir populaire accentue la réaction. Mais quel événement, depuis une semaine ! Les grands titres, du direct à n’en plus finir, une place énorme. Disproportionnée. Une dimension de sacrilège, s’être attaqué au marathon, s’être attaqué aux maîtres du monde. Mais on le comprend, il y avait de l’image en direct, la police locale a organisé du grandiose : la ville entière paralysée, les réseaux sociaux mobilisés. La planète à l’écoute, live.

Nous informe-t-on ? Ou nous épate-t-on de tout ce qui peut faire spectacle ?
Les chaînes d’information en continue, et dans leur sillage l’ensemble de la presse, s’emploient à monter en épingle – battre comme œuf en neige – tout ce qui peut donner lieu à du sensationnel, toute image forte disponible, tout ce qui peut susciter l’émotion, indépendamment du poids de l’événement, de son importance réelle. Du slogan de Paris Match, il ne reste plus que « le choc des photos ». Nous sommes immergés dans un bain de sophisme, où la réalité a disparu au profit de la seule représentation.
J’attends des journalistes qu’ils m’éclairent, pas qu’ils m’éblouissent. Qu’ils m’aident à remettre, dans la marée des news, les choses en perspective, dans leur contexte, leur environnement. Qu’ils m’aident à leur donner leur juste mesure, la dimension de la substance sous l’écume de l’appréhension immédiate. A comprendre le sens.  Au lieu de quoi, ils vont à contre-sens.
Nos valeurs, celles de la gauche, ont tout à perdre de cette dérive loin de la raison.
Mesure et proportion, je propose ce slogan.

mercredi 9 janvier 2013

Mariage pour tous : le débat

Mon article précédent a eu les honneurs de la première page du site LE PLUS, du Nouvel Observateur, et a suscité beaucoup de discussions, parfois animées. Je reprends ici certaines contributions, avec mes réponses.


DEBAT

GD a posté le 8-01-2013 à 10:27
M. Sallonges écrit " Est-il pire d'avoir des parents homosexuels que des parents alcooliques, en querelles perpétuelles, ultra possessifs, ou surprotecteurs...."
C'est le type même d'argument spécieux, car il présuppose que les parents homosexuels ne sont, quant à eux, jamais alcooliques, ne se querellent jamais, ne sont jamais ultra possessifs ou surprotecteurs !
 
Ne croyez vous pas que l'addiction à l'alcool peut concerner tous les parents quelle que soit leur orientation sexuelle ?Ou bien pensez-vous que les parents homosexuels ne se disputent jamais ?
Tout à fait d'accord avec vous, mais vous faites erreur de logique, tout cela peut se cumuler, Comme dans "Les deux orphelines", alcoolo, tubarde et paralytique. Il doit y avoir, parmi les homosexuels, à peu près la même proportion de connards que dans le reste de la population. 
Bref, des gens comme les autres. Alors justement pourquoi faire une différence, et les exclure de ce dont bénéficient les autres ?
J'ai presque l'impression que nous sommes d'accord !

GD a posté le 8-01-2013 à 17:11
NON. M. Sollonges, nous ne sommes pas d'accord. C'est vous qui faites une erreur de logique. Vous commencez par comparer des couples homosexuels avec des couples hétérosexuels " alcooliques, querelleurs, etc.."et donc présupposer que les couples homosexuels ne sont pas atteints par ces défauts, puis vous me dites ensuite que cela peut "se cumuler" ce dont je suis d'accord.
Mais alors pourquoi avez vous fondé votre argumentation sur une comparaison différentialiste entre les couples selon leur orientation sexuelle. ? Il faut choisir: vous ne pouvez pas dire une chose et son contraire !!!!
Où avez-vous vu comparaison ? On me dit : parents homosexuels = facteur de risque pour le développement d'un enfant (ce qui reste à prouver). Admettons. Je dis : il y a d'autres facteurs de risque - et j'en énumère quelques uns - qui existent au sein de couples hétérosexuels (ce qui ne veut pas dire qu'ils en ont l'exclusivité). Facteurs de risque qui peuvent ou non provoquer des effets négatifs. Facteurs de risque qui peuvent se cumuler. Comme dans ".Les deux orphelines", on peut être pauvre, tuberculeux et paralytique. 
Mais reprenons le raisonnement pas à pas. Le risque 1 (homo) est il absolument plus important que les autres ? 
Il n'y a pas de comparaison : je suis persuadé que les couples sont très similaires, justement. Pour le meilleur et pour le pire. Kif kif, pas de différence.

EBr a posté le 8-01-2013 à 01:24
Pour vous la faire plus court, sur le plan juridique, le texte est encore moins boucle que celui sur les 75%. Quand on a affaire a des amateurs, ils le sont dans tous les domaines. En ne participant pas a la demande de révision de ce projet le 13, vous vous en ferez le complice.
C'est une manif de juristes ?

EB a posté le 8-01-2013 à 14:29
sympa la censure, mais j'imagine que vous avez eu le temps de lire, vous avez des réponses ? Ou vous êtes comme les autres, le contenu du texte vous indiffère ?
Censure? où ça ? Ironie, peut-être, mais pas bien méchante. 
Car enfin, mobilise-t-on les masses pour un contenu de texte mal rédigé ?
Accordez-moi cela : la vraie raison est ailleurs. Mais on la dissimule sous des justifications autres, comme autant de faux-nez. Juridique chez vous. Le manque de maman chez un autre (touchant, au demeurant). Le risque de se faire moquer dans la cour de récréation (je l'ai entendu). Le sort des enfants (je ne le prends pas à la légère, cela mérite longs développements, pas la place).
Les réactions sont hyperboliques : les bases de la famille sont mises en péril, la mariage est menacé ! Un tel excès est un symptôme que du vif est touché, mais lequel ?
Une anecdote : dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, la cliente d'un hôtel s'était offusquée qu'une serveuse - noire - ayant échappé un plateau avait plongé ses bras dans la piscine pour l'y récupérer, et exigeait que l'eau soit entièrement renouvelée.
Que l'Autre s'y soit mouillé souillait l'ensemble.
Comparaison ne vaut pas raison, mais j'y vois un lien. Comme si les tenants d'un mariage traditionnel, qui l'investissent ( et c'est leur droit le plus absolu) de hautes valeurs, voyaient leur propre mariage - soit eux-mêmes - souillé du fait que des gens dont ils réprouvent le comportement puissent y avoir accès aussi. Un sanctuaire tomberait. Malédiction.
NB : il ne s'agit que du contrat civil nommé mariage (peut-être l'identité de vocabulaire induit-elle cette crispation).

YK a posté le 8-01-2013 à 12:50
L'affectivité ne concerne pas la loi dites vous. OK, alors pourquoi les gens se marient ?
Pas pour faire des enfants, on n'a pas besoin de se marier pour ça.
Pour les avantages sur les impots ? Il y a des solutions plus efficaces de faire baisser son taux d'imposition.
Que reste-t-il ?
Etes vous marié d'ailleurs ? Si oui, pourquoi ?
@Yuri Ko : Votre contribution me touche, justement parce que c'est au coeur de ce qui me semble fausser le débat. Dans la vie, le niveau juridique et le niveau intime ne se confondent pas. Quand on achète ou possède une maison, qu'on y soit viscéralement attaché ou que ce soit par pure spéculation ou recherche de revenu, cela ne change rien à l'affaire au regard de la loi. Mêmes droits, mêmes obligations.
Dans le cas du mariage, pour son aspect civil, j'entends, il n'y a pas d'exigence d'amour.
On peut d'ailleurs s'aimer, vivre ensemble, et ne pas se marier. Notre président l'a longtemps fait, et poursuit.
Le mariage (civil) donne un statut au couple, Le fait d'être marié ou non change le positionnement des individus dans le corps social, de façon concrète et pratique. Cela a des implications vis à vis du groupe - qu'il convient de réguler par la loi.
Ce que les individus peuvent y mettre d'affectif, d'intime, relève de la personne, Ca les regarde, et relève de leur liberté. L'autorité publique, si elle est laïque et républicaine, n'a pas à s'en mêler.
Il en va très différemment du mariage religieux qui lui est- justement - religieux, qui vise à donner un caractère sacré à l'union, etc. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. On pourrait en causer longuement.
Vos dernières questions ?
Marié ? oui, ça fera 40 ans cette année, tout va bien merci. Et alors ?
Pourquoi ? Cela relève justement du personnel, que je n'ai pas à étaler, non par dissimulation, mais par civilité (j’ai hésité sur ce terme, ayant écarté discrétion, pudeur, décence). Mai son peut en parler, si vous le souhaitez, sur mon blog – lien à la fin de l’article.
YK a posté le 9-01-2013 à 13:36
Si la loi se fiche de connaitre les élans intimes des gens lorsqu'ils se marient, pourquoi exigent-elles la fidélité entre les époux alors ? De quoi se mêlent-elle ?
Vous vous rendez compte qu'à travers votre discours la seule chose qui ressort c'est que vous présupposez qu'un couple homosexuel n'est pas capable de remplir les mêmes devoirs qu'un couple hétérosexuel ?
Du point de vue d'un homosexuel, c'est ça l'homophobie, considérer qu'il n'a pas les capacités et/ou l'intelligence de se comporter de la même façon qu'un hétérosexuel.
Je sais vous n'êtes pas homophobe ! Mais vous tenez un discours qui fondamentalement, parce qu'il infériorise les homos, est homophobe.
Au fait ma dernière question était purement rhétorique, je ne pensais pas que vous me répondriez, et je comprends tout à fait votre refus de répondre.
Je vous réponds encore une fois, au risque de vous surprendre.
Pourquoi est-il question de fidélité dans ce que dit le maire? Je me le demande en effet, et pense que c’est une survivance. Cela me semble inutile, au moins depuis  la reconnaissance possible des enfants hors mariage. L’histoire du mariage, les enjeux de pouvoir  entre l’Etat et l’Eglise, en diraient long.
Ce qui n’empêche pas que la fidélité puisse être une valeur, grande même, mais qui relève du privé, de la sphère personnelle, sauf si un des époux voit dans la rupture d’un tel engagement une raison valable pour demander le divorce – raison qui peut être reconnue, au même titre que la violence ou autre. L’exemple me semble typique de notre propos.
En revanche j e ne comprends pas la suite de votre propos. Ciel ! qu’avez-vous pu voir «  à travers (mon) discours » ? Où présupposerai-je alors que depuis hier dans ce débat, depuis avant sur mon blog, je défends l’idée que je ne vois justement aucune différence entre les couples homos et hétéros, kif kif, pareil, disais-je. Pour le meilleur et pour le pire.
Qu’avez-vous cru voir? Sur la fidélité ? a priori pas de différence. Elle est, dirait Descartes, également partagée. Un peu, beaucoup, passionnément … quels que soient les couples, hétéros ou homos, non ?
Alors vous parlez du point de vue de l’homosexuel : il n’y a pas là victimisation, hypersensibilité ? Cela peut se comprendre, mai s justement, il est temps de venir à la sérénité.

MD a posté le 8-01-2013 à 18:53
Vous avez une vision très fermé du problème. Le projet de loi ne vise pas à ouvrir,... Vous dîtes ! Mais vous oubliez que le mariage est une institution qui régit toute l'organisation de notre société et des filiations. Que cette institution est fondée sur les principes naturels que même un enfant comprend, à savoir qu'il faut un homme et une femme pour fonder une famille et concevoir des enfants. C'est comme ça et on n'y peut rien, enfin tant que dame nature en a décidé ainsi.
Que 2 hommes ou 2 femmes décident de vivre ensemble, pas de problème ! Pour cela il existe le PACS (certainement à améliorer : conjoint survivant). Mais pour ce qui est de l'adoption, la PMA voire la GPA, et toutes les dérives qui en découleront (l'eugénisme par exemple), cela paraît extrêmement dangereux voire totalement suicidaire pour notre civilisation et l'histoire en est témoin.
Autre chose, la PMA n'est pas un droit pour les couples hétéros, tel qu'on veut bien le laisser croire ! La PMA est la dernière étape d'un parcours médical long et éprouvant. Et la PMA utilisera le "matériel" des couples en priorité. D'ailleurs, beaucoup de couples hétéros et lorsque les tentatives de PMA échouent avec leur "matériel", renoncent à faire appel à des dons.
Enfin, heureusement pour nous tous, que tout le monde ne pense pas comme vous, et que beaucoup de gens ont encore les pieds sur terre...
http://www.clicsondages.fr/2013/01/mariage-pour-tous-etes-vous-pour-ou-contre
"il faut un homme et une femme pour fonder une famille et concevoir des enfants". 
Sur la seconde partie de la phrase, je n'en disconviens pas, et je parle d'expérience.
Mais questions. Lorsque les enfants élevés par un couple n'ont pas été conçus par ce couple, est-ce une famille ? Lorsque les enfants ont été conçus par un seul des membres du couple, avec une autre personne, connue ou inconnue, est-ce une famille ? 
Vous répondrez, comme tout le monde aujourd'hui : OUI .
Alors pourquoi refuser à tels couples ce qu'on reconnaît à d'autres, au prétexte que leur composition est différente ?
Et puis rappelons-nous la réponse de César à Marius qui demande "mais alors qui c'est le père ?", lorsqu'il vient réclamer l'enfant qu'il a fait à Fanny : "Le père, c'est celui qui aime". (Cela vaut aussi pour la mère, bien entendu).
Pour ce qui est de PMA, GPA ou autre, ce que vous en dites, bien entendu, prête à réfléchir, et vaut pur les homos comme pour les hétérosexuels. J'aimais bien la position qui consistait à renvoyer ces prises de décisions à une grande loi à venir prochainement, et largement nécessaire, sur la famille et la filiation, qui concernerait au même titre tout un chacun..
Pour le moment, avec le mariage pour tous, l'idée est seulement : mêmes droits et devoirs pour tous les couples, quelle que soit leur composition. Simple.

DED a posté le 8-01-2013 à 17:18
Le problème Pierre + c'est que le mariage a changé ! Que vous ne vouliez ni le concevoir, ni le voir pose un sérieux problème quant à votre entendement et à votre capacité à aborder la réalité ! Bref rappel historique : 1804, maintien de la sécularisation du mariage civil dans le code civil ; 1884 : divorce pour faute avec une très forte résistance de l'Eglise ; 1912 : instauration de l'action en reconnaissance de paternité; 1966 : suppression du régime matrimonial de la dot ; 1970 : fin de la puissance paternelle au profit de l'autorité parentale ; 1975 : divorce par consentement mutuel ; de 1978 à 1993 : différentes lois sont votées et instaurent une égalité des droits et des devoirs entre époux et vis-à-vis des enfants ; 2005 : suppression de toute différence juridique dans les modes d'établissement des filiations avec la suppression des termes "légitime" et "naturel"). Le mariage civil est cadre juridique qui évolue avec son temps. Et il est temps que cessent les dernières discriminations à l'encontre des homosexuels !!! Le cœur du mariage ce n'est plus la présomption de paternité, c'est le couple ! Aujourd'hui se marier c'est faire couple ! Ouvrir le mariage aux couples de même sexe c'est permettre l'égale dignité de tous les couples !
Remise en perspective que je ne pouvais qu’approuver.

VD a posté le 9-01-2013 à 01:08
On dénonce "ces méchants hétéros qui veulent pourrir la vie des homos, mais pourquoi, ils ne sont pas touchés" Eh bien si ! le déni, cela suffit ! 

les homos veulent une reconnaissance et des droits civils du mariage, c'est compréhensible.

union homosexuelle et sécurisation des enfants DEJA en famille homosexuelle ne posent pas vraiment de problème, qui propose de les enlever à leur mère ou père ?

MAIS les millions de couples mariés, pour qui le mariage a un sens précis (pas un CDD, exclusif, et avec complémentarité des sexes) existent et ont le droit AUSSI de ne pas être déreconnus et de ne pas voir le sens de leur union dénaturée. 
de même l'adoption EXTERNE (dont la pénurie d'adoptables en limitera les effets), comme la PMA/GPA priverait DELIBEREMENT des enfants de père ou mère - leur condamnation morale est absolue

on est symbole/principe contre symbole, pourquoi plus de 20 millions de couples devraient renoncer au symbole de la complémentarité des sexes et à priver des enfants de père et de mère ? ils sont aussi légitimes qu'une poignée de communautaristes tenants de la théorie des genres 

vous pouvez être en désaccord, mais nier LEURS convictions vous aveugle A force de les nier, vous n'arrivez même pas à concevoir qu'ils se lévent vent debout contre CE projet. l'UMP, pour qui je n'ai pas voté, n'y est pour rien !

quant à l'équivalence :
mariage =

- affirmation symbolique de l'unicité de l'humanité, complémentaire
- couple prolongeable par ses enfants, sans intervention externe (hors maladie)
- présence des deux sexes dans le couple parental, permettant l'identification

union homosexuelle =
- rejet symbolique de l'autre sexe (la moitié de l'humanité), organique, on est "entre soi"
- enfants ontologiquement impossibles, il faut l'intervention de tiers , et non une assistance médicale (l'homosexualité n'est pas une maladie que je sache)
- couple carencé, peut être aimant aussi, mais carencé et potentiellement perturbant (expliquer à un petit garçon que non, "ses mamans" ne supportent pas les hommes, mais lui c'est pas pareil, ou à une petite fille que même si la norme parentale, c'est deux femmes ensemble- l'exemple est plus prégnant qu'un discours ... bref)

tout ceci est bien entendu schématique (1500 mots), je n'entends dénier de valeur humaine à personne , mais au delà de tout jugement de valeur 
- les réalités sont DIFFERENTES, et méritent un traitement différent
- l'intérêt de l'enfant devrait primer
- et quelques milliers d'homosexuels peuvent légitimement réclamer la reconnaissance pour eux mais non la dénier à des millions de couples mariés


@Vieux Dino
Je vous remercie sincèrement beaucoup de vos contributions, tant elles me semblent jeter un éclairage sur le débat.
J’écrivais hier, en réponse à un interlocuteur : « Un tel excès est un symptôme que du vif est touché, mais lequel ? ». Vous situez assez précisément, je crois, le lieu de la blessure.
Vous ressentez le fait que des couples homos se voient mariés comme dénaturant le sens de votre propre union. Car pour vous (et c’est votre droit absolu) le mariage est investi de valeurs, de symboles, qui touchent à votre identité même – et qui ne se retrouvent pas, bien au contraire à vos yeux, dans un couple homo.
Mais parle-t-on de la même chose ? Dans le mariage pour tous, le mot mariage désigne une union civile, un statut juridique impliquant droits et devoirs au sein de la société républicaine qui est la vôtre. Le contenu de sens, la profondeur de l’engagement pris, sa dimension spirituelle ne sont pas niés, ils ne relèvent tout simplement pas de la loi mais des convictions et des fois des individus – dont certains, nombreux, souhaitent voir leur engagement sanctifié dans un lieu de culte. Pas de problème à cela.
Mais vous m’accorderez aussi que d’autres, déjà, mettent dans le mariage depuis toujours d’autres visées et valeurs. Les mariages d’argent ne sont pas des phénomènes nouveaux, et je pense avec vous qu’ils sont aussi éloignés de vos valeurs et symboles que le mariage d’un couple gai. Moins ? Vous me direz.
Ce serait donc question de sémantique, de valeur accordée à un mot. J’ai chez moi un plat qui m’a été ramené du Maroc. Un ami musulman m’a fait remarquer un jour que l’inscription qui l’orne porte le nom d’Allah, et que je devrais donc pas m’en servir pour présenter de la nourriture, mais seulement d’ornement. Je l’ai attentivement écouté. Il sacralisait un objet, il mettait valeurs et symboles (c’est son droit, c’est sa foi) dans ce qui pour moi fait partie de la vaisselle. Je continue à me servir du plat, peut-être ne l’utiliserai-je pas le jour où il reviendra dîner. Ce n’est pas du renoncement, mais de la courtoisie.
Cette anecdote pour dire que le mot mariage recouvre des réalités bien différentes, parfois sacrées. On touche là à une autre question, fort d’actualité aussi. Dans une société de liberté laïque, ce qui est sacré pour certains ne l’est pas pour d’autres, et il faut trouver la bonne mesure pour le vivre ensemble – sachant que rien n’est sacré au regard de la loi qui ne connaît que le licite ou l’illicite. Le modus vivendi avec certains aspects de l’islam est au cœur du sujet.
Peut-être faut-il cependant change de mot, laisser à « mariage »sa dimension d’engagement spirituel (pas nécessairement religieux) et parler d’ « union » pour le contrat civil. C’est ce qu’implique la position que je développais dans mon blog (lien dans l’article). Mais le maire ne célébrerait plus AUCUN mariage, mais seulement des unions.
Peut-être, je veux bien l’admettre, le fait que certains milieux homos s’arcboutent sur le « mariage », au-delà de la revendication (que je crois légitime, et vous aussi dites-vous) d’égalité des droits et devoirs des couples, voire (pour moi) la reconnaissance de «  l’égale dignité de tous les couples » relève-t-il aussi d’une sursymbolisation plutôt irrationnelle, à lier certainement à un besoin de reconnaissance trop longtemps refusé – et qui peut donc s’exprimer sur des modes excessifs. C’est un vaste sujet, qui mérite amples débats. Là aussi ya du vif.
Au final, peut-être faudrait-il revenir à des considérations plus rationnelles, et ne pas s’enfermer sur des questions de mots. Le mariage pour tous ne nie pas la valeur et la symbolique que chacun peut accorder à cette vénérable institution qui a beaucoup évolué et évoluera encore.
Votre identité est respectable et restera intacte, à côté d’autres identités d’égale dignité.


lundi 7 janvier 2013

Mariage pour tous : pourquoi manifester ?


Cette affaire est quand même bien mal emmanchée (no pun intended). On s’enferre dans des débats sans fin. C’est pourtant simple.

Le mariage reconnaît à un couple un certain nombre de droits et de devoirs, en matière de patrimoine, en matière de filiation, que l’enfant soit conçu ou adopté. Avec la loi à venir, Il ne s’agit pas d’AUTORISER un couple dont les deux membres sont de même sexe à avoir ces droits et devoirs mais de CESSER DE LEUR REFUSER ces droits.

Pourquoi ce refus, par essence discriminatoire ? Des traditions parfois millénaires, des arguments théologiques ou moraux hautement respectables dans la logique de certaines fois qui doivent être respectées : voilà sur quoi on s'appuie. Mais la République n’a pas à en connaître, et refuser au nom de ces principes.

Rassurons largement, ça peut mériter la peine d’être dit : les hétérosexuels pourront continuer à se marier entre eux ! personne ne sera contraint à convoler avec une personne de son sexe ! Les instances religieuses ne seront pas obligées de célébrer de tels mariages ( à chaque religion son débat interne, qu’ils s’en débrouillent ! ). Much ado for nothing. Pronostiquons : cela ne concernera qu’un nombre limité de couples – l’expérience du PACS l’atteste. Pas de quoi bouleverser la société, où ces couples d’ailleurs sont déjà là, existent, de fait, mais fragilisés. Et élèvent déjà souvent des enfants, dont le sort est aussi fragilisé par le statut de leurs parents de fait.
REFUSER la reconnaissance du mariage à tous, c’est en fait, au fond des choses, vouloir imposer un modèle moral, condamner un mode de vie : ce n’est en dernière analyse que de l’homophobie.

Comme on s’en défend, on parle des dangers pour les enfants, dans la formation de leur personnalité et leur insertion sociale. Aucune étude sérieuse n’a montré, ni sur la durée en France, ni dans d’autres pays, qu’il y a péril à être élevé par des parents homosexuels. On n’en devient pas pédé ou gouine pour autant, semble-t-il aussi, s’il faut rassurer encore.
On dit qu’il faut, pour un développement harmonieux, avoir un père et une mère – au passage, il est stupide de supprimer ces termes. Concédons, admettons, dans un grand esprit d’ouverture, que c’est souvent un avantage au départ que de grandir au sein d’une famille aimante, présente, à l’aise, bref heureuse. Certes, mais sont-elles toutes comme ça, les familles ? Qui peut me jurer qu’il est pire d’avoir des parents homosexuels qu’alcooliques, en querelles perpétuelles, absents ou ultrapossessifs, humiliants ou surprotecteurs, que sais-je encore. Ca n’existe pas ? à moi Jules Renard, Mauriac, la littérature en est pleine. Alors, si vraiment handicap il y a pour l’enfant, il n’est a priori pas plus grave que bien d’autres causes de souffrances et de perturbations vécues entre un papa et une maman. L’argument du bien de l’enfant ne tient pas, ou alors vaut pour tout couple : qui prône un permis .d'élever ?

Alors pourquoi manifester ? Pour clamer qu’il faut persévérer à refuser des droits à des individus de notre société au prétexte qu’ils ont une conduite non illicite que l’on réprouve ? Pour se prêter à une instrumentalisation politique qui clive la société et rebat les cartes de la droite ? Je ne vois rien d’autre, ou alors dites-moi.

C’était ma petite contribution au mauvais débat actuel, ma position restant celle précédemment (voir rubrique Mariage).

samedi 5 janvier 2013

Tournier le sensuel

J'ai gardé des années le souvenir de ce texte lu à Zaria, au nord du Nigeria, dans la sélection hebdomadaire du Monde que nous recevions alors, ça fait donc bien longtemps. Souvenir vivace, tant les idées m'avaient frappé, souvenir diffus puisque j'avais oublié qu'il s'agissait d'un entretien, et que je le pensais plus récent que 1984, plus proche de notre retour en France trois ans plus tard. Depuis, je l'avais égaré et l'ai cherché dans tous les recueils d'essais de Tournier, dans les archives du Monde, sans succès. 
Occupation de mon dernier séjour parisien, aller passer une matinée Quai Voltaire, à la Documentation française. 
Pour vos étrennes - ça ressemble à "étreintes" -, l'hommage de ces pensées.

TOURNIER LE SENSUEL

Se qualifiant lui-même de « naturaliste mystique », l'écrivain Michel Tournier a une passion pour la matière, le geste, le contact physique. Il aime caresser le monde du regard, sentir la chaleur de la peau sous ses doigts, se gorger d'odeurs, se couler dans la moiteur de la terre. Ce sensualisme sulfureux inspire la plupart de ses romans, depuis Vendredi ou les Limbes du Pacifique à Gilles et Jeanne, en passant par le Roi des aulnes (prix Concourt 1970) ou les Météores.

- Dans notre Europe « civilisée », la réserve est érigée en vertu, et chacun cherche à imposer ses distances. En Afrique, au contraire, on est frappé par la diversité des contacts physiques qui règnent entre les hommes ou entre les femmes. A quoi attribuez-vous cette différence fondamentale ?
- La France est un pays divisé aux deux tiers : le Midi commence très loin ; les Français ne sont méridionaux qu'en petite partie. La majeure partie du pays est nordique, océanique, et la vague moralisante qui vient du froid déferle sur la France avec l'influence prédominante des Anglo-Saxons sur notre civilisation, c'est-à-dire depuis le début du XIXe siècle. C'est une morale qui prêche l'horreur du contact physique : on se tient à distance, chacun maintient son quant à soi. On constate d'ailleurs une chose curieuse : les révolutions scientifiques mordent très inégalement sur la vie quotidienne ; tout le monde sait que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil, et pourtant cette vérité n'a pas influencé nos habitudes, car nous continuons à parler du lever ou du coucher du soleil. En revanche, à la fin du XIXe siècle, il y eut la révolution de Pasteur, et hélas, dès lors tout le monde a peur des microbes des autres.
- Ne croyez-vous pas cependant que la raison est plus profonde, qu'elle est plutôt psycho-religieuse ?
- Mais le microbe est un phénomène psycho-religieux ! Le microbe, c'est l'esprit du Mal qui pénètre chacun de nous, c'est pour cela que la révolution microbienne de Pasteur a eu un tel succès. Elle se situe exactement dans le droit fil de la peur, de l'esprit malin qui vient s'installer chez les gens. Au lieu d'exorciser les gens, on les désinfecte maintenant. On pourrait presque établir une carte de France - et même de l'Europe - des lits « couche-tout-seul », qui est encore une invention anglo-saxonne et qui gagne depuis le nord vers le sud.
- Ne serait-ce pas une invention protestante ?...
- Non seulement protestante, mais calviniste. On pourrait établir la frontière du lit à deux personnes. Tandis que l'Afrique est un continent où l'on ne dort jamais tout seul, on dort en grappes, on se tient chaud, on rêve ensemble. L'enfant africain ne perd jamais le contact physique avec sa mère, elle ne le quitte jamais, ne le laisse pas seul dans son berceau...
- La femme africaine porte depuis toujours son enfant sur elle, et il est intéressant de constater que maintenant, certaines femmes occidentales imitent cet exemple.
- Ce serait en effet une grande révolution, mais je crains qu'elle ne soit pas encore à la veille de se généraliser. Combien de fois voit-on en Afrique une petite fille maigrichonne de dix ans porter à cheval, sur sa hanche son petit frère qui est parfaitement capable de marcher, mais tous les deux préfèrent ce contact physique étroit. Or dans nos régions, ce contact est interdit ; on n'a pas le droit de se toucher. D'ailleurs, vous connaissez l'argot des curés : « se toucher » veut dire se masturber, ce qui est naturellement le comble de l'horreur et de l'abomination. Il n'y a pas de doute que nous vivons dans une « civilisation de l'image » : tout y est pour l'œil, et rien pour la main. Nous vivons dans un monde où l'on ne se touche plus, où l'on ne se sent même plus. Nous vivons dans la civilisation des « déodorants » !  Autrefois, en traversant les villages, chaque artisan vous envoyait son odeur : il y avait le cuir, il y avait le maréchal ferrant, le marchand de couleurs. Aujourd'hui, seul le boulanger sent encore quelque chose ! Nous vivons, hélas, dans une société sans odeur, sans saveur, sans contact physique, tout est pour le regard !
- Peut-être même pas, puisque lorsque l'on regarde longuement quelqu'un, il se méfie aussitôt ; car ici, dévisager signifie - d'office – « critiquer »; tandis qu'en Afrique, cela suscite plutôt de la sympathie, l'échange d'un sourire...
- En effet, on n'ose même pas regarder les gens. Moi qui suis très curieux, et par goût et par besoin professionnel, j'ai tendance à dévisager les gens en les examinant des pieds à la tête, et il m'arrive souvent de me faire fusiller du regard, voire apostropher. J'en arrive donc à avoir toujours une paire de lunettes de soleil pour pouvoir enfin regarder les gens tranquillement. A la base de tout cela, il y a un manque total de convivialité, de sociabilité, nous vivons dans une société où les gens se détestent.
- La raison fondamentale ne serait-elle pas due au principe sacro-saint de « l'individualisme » ? Ne me touchez pas, je ne vous touche pas, chacun pour soi...
- Exactement. Chacun pour soi et Dieu pour tous, ce qui n'est d'ailleurs même pas vrai. Vous savez que le précepte que Jésus a donné comme premier dans la religion chrétienne « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » devrait nous faire réfléchir : si l'on ne s'aime pas soi-même, il est absolument impossible d'aimer les autres, parce que l'on projette sur eux l'antipathie que l'on a pour soi-même.
- Les Français seraient-ils trop intelligents et donc trop  critiques pour « s'accepter » tels qu'ils sont ?
- Dieu merci, la France est un pays mitigé, et je me félicite de l'arrivée en masse des travailleurs immigrés, qui constitueront bientôt une minorité importante. Il y aura ainsi une autre échelle de valeurs dans les rapports avec les autres et envers soi-même. Afin de contrebalancer ce courant intense qui, depuis deux siècles, vient des pays anglo-saxons, pays de la méfiance, de l'antipathie de soi-même et des autres, et peut-être du monde entier.
On s'en plaint, il y a des frictions, on trouve qu'ils font trop de bruit, une cuisine trop odorante. Mais tant mieux si cela pouvait enfin remuer ces horribles petits-bourgeois frileux, resserrés sur eux-mêmes, qui ont peur des autres et se barricadent chez eux.
Mais, il y a un autre domaine que je voudrais évoquer, c'est la télévision. Vous y voyez, en gros, trois choses: les programmes, qui sont presque toujours nécrophiles, violents, dans l'esprit anglo-saxon dont nous venons de parler. Ensuite, vous avez les actualités : on y montre des gens qui meurent de faim, des corps squelettiques, pustuleux, et torturés. Et puis, vous avez un autre domaine, que j'adore, et je ne suis pas le seul, et c'est la publicité. Là, c'est le contraire : c'est un véritable éloge de la vie, du corps, de la beauté. C'est la seule fissure par laquelle passe un tout petit peu d'érotisme, chose absolument proscrite à la télévision, dont la morale est : faites la mort, ne faites pas l'amour ; tapez-vous sur la gueule, mais ne vous caressez pas.
- Pourquoi n'écrivez-vous pas un livre à l'éloge du contact physique, une sorte de manuel pour empêcher ce dessèchement ?
- Je ne fais que cela. Tous mes livres célèbrent le contact physique, et notamment ceux que j'ai écrits avec suffisamment de soin pour que les enfants puissent aussi les lire. L'un d'eux, Pierrot ou les Secrets de la nuit qui est mon meilleur livre, n'est qu'un hymne au contact physique. C'est une histoire entièrement charnelle, une histoire d'odeurs, de gustation. Je la considère à la fois comme traité d'ontologie, de morale, et une leçon d'amour.
- Que signifie, au juste, le « contact physique » pour vous ?
- Le contact physique, c'est la relation absolue. Souvent, lorsque l'on en parle, on imagine tout de suite l'acte sexuel, mais il y en a bien d'autres, beaucoup plus intimes. Il n'y a pas plus intime que le contact physique entre une mère et son petit enfant.
- Serait-ce la seule relation vraie ?
- Ce n'est pas la seule, mais c'est sûrement la plus vraie de toutes. J'ai écrit un livre sur les jumeaux, les Météores ; eh bien, il n'y a pas de contact physique plus étroit que celui qui existe entre eux puisque ce qui se passe à l'intérieur de l'un est aussitôt ressenti par l'autre : ils peuvent se passer de la parole.
- Si vous aviez vraiment trouvé le contact physique que vous cherchez tant auriez-vous pu vous passer de l'écriture ?
- C'est parfaitement possible. Il est certain que, grâce à l'écriture, j'ai avec tout un chacun un contact qui m'est infiniment précieux, mais qui n'est peut-être que l'ersatz d'un contact physique universel.
J'ai été invité récemment à distribuer aux enfants aveugles les premiers exemplaires de Vendredi ou la Vie sauvage en braille. Lorsque je leur ai fait la lecture à haute voix, une petite fille a toujours gardé sa main dans la mienne, et ce contact était bien plus important que tout ce que je pouvais lui dire.
GUITTA PESSIS PASTERNAK

Entretien paru dans Le Monde du 13 août 1984, page XIV.