samedi 28 janvier 2012

Palmes

A son départ à la retraite, son principal au Collège Edgar Quinet avait fait savoir à Geneviève qu’il la proposerait pour être promue officier des Palmes académiques – chevalier elle l’était depuis après le Burundi, où l’ambassadeur avait voulu reconnaître le travail qu’elle avait accompli pour remettre sur pied l’Ecole Française de Bujumbura.
Une belle lettre est arrivée voici deux mois, signée du recteur. Restait la remise des insignes.
Le même principal a eu l’idée d’y procéder à l’occasion d’une cérémonie qu’il organisait au collège pour une remise de distinctions – un beau certificat plastifié – aux élèves de 4ème et 3ème qui avaient obtenu les félicitations pour leur réussite au premier trimestre.
Belle idée.   Les tables du CDI hâtivement poussées. Des rangées de chaises tout autour où s’installent avec timidité parents et bambins. Les collégiens pour la plupart restent plutôt debout derrière. Une diversité à l’envers. Les minorités visibles dans toute leur variété dominent puissamment. Une mère d’élève en grand voile gris souris de pied en cap, tout à l’heure ira recevoir le certificat de sa fille. A mon côté un couple de Comoriens échange avant que ça ne commence. Le fiston, je le saurai plus tard, est à quelques encablures. Au premier rang un homme déjà mûr, une grosse tête rasée, gabarit de lutteur, me remerciera plus tard pour ce qu’on a pu faire pour l’Afrique, appréciant que Geneviève ait cité Senghor, son premier président. Les jeunes se faufileront entre les chaises pour aller chercher leur récompense, rayonnants et gênés. Un petit vif ira bras écartés se dandinant comme celui qui vient de marquer un but, et reviendra en disant « Ca fait si longtemps que je le voulais » avant de crier, comme si on n’avait pas compris « Allez l’OM ».
Mais avant, derrière les tables, coincé contre les étagères, le principal avait appelé Geneviève pour la remise de sa décoration. Prudent : le risque était trop grand qu’après, l’attention, et le public, ne se dispersent. Paroles chaleureuses, fond touchant, mais foin de la forme ! Les formules rituelles n’y étaient pas. Pas d’« en vertu des pouvoirs qui me sont conférés …» (j’aime bien ce conféré, allez savoir). Pire, on avait ressorti la médaille de la première fois, celle de Lagos, de chevalier. Pas de rosette règlementaire, mais qu’importe ! L’important : ces jeunes qui eux-mêmes venaient se faire reconnaître méritants avaient les yeux écarquillés. Dans leur proximité aussi, avec des gens qui leur sont proches, se jouait une scène qu’ils ne voient qu’à la télé.

Alors si tout n’était pas dans les règles, l’épaisseur humaine était là, dans les mots, les présences. Le sens donné à la cérémonie, moins pour les acteurs, peu dupes de la vanité de ces démonstrations honorifiques, mais pour les spectateurs, placés devant un monde qu’ils ne savent pas être le leur, et pouvoir y prétendre.

lundi 2 janvier 2012

Et ta soeure ? - Elle bat le beur !

Je ne m’y fais pas, et en plus ça m’irrite profondément, la féminisation des noms de métiers en –eure. Non sens. La procureure, déjà, c’est sévère. Le record d’exaspération, c’est la défenseure des enfants, allez savoir pourquoi.

On me dira, t’en a rien à faire, ça s’entend pas, l’-e est muet. Eh bien ! non. Moi, avec bien d’autres, les –e muets, je vous les fais sentir. Et ça m’écorche. Bien plus, écrit, c’est dur à lire. L’auteure, j’arrive pas à écrire.

Why not alors l’instituteure, la docteure, la masseure ? … mais j’ironise … à peine : j’ai lu directeure. Directrice fait peut-être trop directif.

Pourquoi cette féminisation fait-elle se hérisser les papilles de ma langue ? Pourquoi me semble-t-elle à ce point rebrousser le poil de notre pente linguistique, et être frappée d’absurdité tout à la fois ?

Machisme non dissimulé de puriste racorni ? On le pensera si je ne m’explique.



Contraire à la langue. Un seul exemple en français d’avant : le vénérable prieur, qui devient la rigoureuse prieure. Bel exemple d’émancipation de la femme.

On m’objectera le meilleur. Mais si les femmes le sont souvent, le substantif est seulement masculin, et ce n’est pas un métier ni une fonction.

Ceux-ci, ou celles-ci, se féminisent d’autres façons. Coiffeur, grimpeur, trotteur, plieur, emballeur, ajusteur ont la finale assez heureuse, comme trompeur, parleur, chanteur, verseur, berceur, gagneur, enjôleur. La fin de conducteur, inspecteur, ambassadeur, instituteur, moniteur, basketteur, frondeur, fraiseur aurait pu être inspiratrice. Je n’aime pas trop doctoresse ni mairesse, mais enfin ils existent. Je souris à beurette, même s’il y a de la condescendance.



Alors pourquoi justement avoir décidé de cette terminaison-là ? L’idée inculquée aux petits enfants que le féminin se forme en ajoutant un –e est simpliste. Mais elle semble faire florès. Pour faire féminin, pour différencier, il suffirait d’ajouter un appendice en queue de mot. Cela ressemble à une revanche symbolique, et c’est peut-être là le nœud du problème (j’ose m’exprimer ainsi).



Car enfin les noms féminins en –eur sont légion. La peur, la hauteur, la minceur, la liste ne manque pas de longueur. Et à l’inverse, combien de noms masculins qui se terminent pas un –e ! Innombrables, sans que ce –e final jette un doute sur leur genre. Faudra-t-il les supprimer (la plupart sont déjà muets, d’ailleurs) pour que la différenciation des sexes soit bien faite ?

Absurde confusion entre le genre grammatical et celui des rapports sociaux.



Mais comment éviter ce mélange des genres ? Deux voies je crois, concurremment.



Si on veut - et on le doit – inscrire autant que se peut l’égalité des sexes dans la langue qui s’est fait le vecteur pendant des siècles de la supériorité du mâle, il y a bien des manières, plus profondes, moins simplistes, que l’ajout du –e à –eur.

Le français connaît des noms qui sont à la fois masculins et féminins. On les appelle épicènes. Ministre est entré dans les mœurs. Alors, épicénons à tour de bras ! La procureur pourra être la distinguée auteur d’un roman à succès. Epicénons même des noms qui ont un féminin attesté : parlons d’une entraîneur, puisque l’autre forme est déjà prise.

A l’instar de la Pléiade, inventons des formes féminines qui manquent, forgées à l’exemple d’autres vocables. Trouvons des terminaisons seyantes, dans la pente de la langue.

Surtout peut-être, accordons selon le sens. Si c’est d’elle qu’il s’agit, l’ambassadeur était très belle à la réception de ce soir. Quant à la sentinelle, il n’a rien vu venir.

Voilà qui ancre bien plus dans le langage la reconnaissance du genre qu’un –e final que l’on n’entend même pas ou qui dissone quand on le prononce. Car c’est bien là l’enjeu, toujours : « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Faire que la langue, héritage avec inventaire, et invention, porte les valeurs de ceux qui échangent. Leurs valeurs d’aujourd’hui.



Seconde voie : il faudrait aussi, enfin, interroger les notions même de masculin et féminin comme catégories grammaticales. Et les représentations qu’elles induisent. Ce qu’elles figent en retour dans les rapports sociaux.

Débarrassons-nous de ces mauvais genres et parlons de deux catégories de noms. Je propose les noms *­ (parce que UNE étoile) et les noms # (parce que UN dièse). Egalité parfaite, ils sont au même niveau sur tous les claviers de portables ou de distributeurs. Une grammaire avec des accords en dièse, ça sonne bien non ?

NB : appellations « noms * ­ et noms # » contrôlées, sous copyright, à développer très prochainement si l’idée vous séduit.

Publié comme Chronique par LeMonde.fr (http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2012/01/02/et-ta-soeure-elle-bat-le-beur_1624499_3232.html )