mercredi 2 août 2023

HENRI KONAN BEDIE, l'apprenti-sorcier de l'IVOIRITE

 


A l'heure de son décès, un grand respect est dû à cet homme politique ivoirien, ancien Président, que ses concitoyens (les Ivoiriens ?) ont mis, écarté, réintégré au centre du jeu politique de Côte d'Ivoire. Je connais très peu ce qui s'y joue, et s'y est joué, mais du personnage, je retiens l'introduction et l'orchestration de la notion pernicieuse, empoisonnée, et qui s'est révélée catastrophique d'IVOIRITE.

Petit retour en arrière

Pour rappeler un peu "ce temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître", Houphouët-Boigny venait de décéder et, très constitutionnellement, Konan Bédié, Président de l'Assemblée Nationale, lui a succédé, tandis que le puissant Premier Ministre choisi par Houphouët, Alassane Ouattara, au pouvoir depuis une poignée d'années et qui menait une vigoureuse politique économique, s'effaçait. Il aurait pu très facilement, d'un faible coup de force, s'emparer de la Présidence. Il ne l'a pas fait, mû certainement par un profond respect des textes fondamentaux, mais aussi, peut-on supposer, par un manque de soutien des autorités françaises.
Aux yeux de celles-ci, en effet - en tout cas de certains cercles - Ouattara était le Diable en personne, en tant que "l'homme des Américains". Il avait travaillé aux E.U., pour les institutions de Bretton Woods, soutenait les politiques du F.M.I. et de la Banque Mondiale - et donc ne pouvait qu'œuvrer à l'affaiblissement de la France en Afrique. Cette vision, qui pouvait ne pas être sans fondement, avait tourné en obsession et était devenu un ressort majeur de la politique de la France en Afrique (voir aussi mon autre note de blog "Le RWANDA et moi" ). Quand on rappelle cette perception de Ouattara aujourd'hui, ça laisse rêveur.
Sitôt installé au pouvoir, le souci majeur de Bédié a été "Ouattara ou comment s'en débarrasser". Le problème n'était pas mince, d'autant que bien des indicateurs montraient qu'il serait en bonne position pour remporter des élections quand elles auraient lieu.
C'est alors que surgit l'IVOIRITE.  Viennent à l'esprit les vers de Verlaine :
"Ah ! qui dira les torts de la rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou. 
Nous a forgé ce joujou d'un sou. 
Qui sonne creux et faux sous la lime ?"
Remplacez "rime" par Ivoirité ... Suffisait d'y penser. On va restreindre les conditions d'éligibilité à la Présidence en exigeant, preuves à l'appui, la citoyenneté ivoirienne des grands-parents, la naissance et la résidence au pays, etc. Mes souvenirs sont approximatifs, mais cela n'a aucune importance. Suffirait de prendre une biographie des origines de Ouattara pour trouver toutes les cases à ne pas cocher. Mais la manœuvre était trop transparente en ne visant qu'un individu ou presque. Fallait habiller cela d'une philosophie politique. d'une idéologie officielle qui mobilise le peuple. Des intellectuels de l'entourage de Bédié sont allés chercher des idéologues nationalistes qui vivotaient dans le pays, ont travaillé avec eux leurs thèses xénophobes, discriminatoires, haineuses à l'égard de tout ce qui ne serait pas "pur" ivoirien, authentique, culturellement, originellement, généalogiquement du cru. Une fois ôtés les oripeaux anti-colonialistes et souverainistes, on se retrouve avec le ramassis le plus classique des thèses, et pratiques,  mouvements identitaires d'extrême-droite de par le monde (1). Pour se débarrasser d'une mouche (certes grosse), on a libéré les "Forces du Mal".

La France et "l'IVOIRITE"

Je n'ai absolument aucune preuve que la France ait soutenu l'élaboration et la mise en œuvre de la politique d'Ivoirité, ou de l'Ivoirité comme politique officielle d'Etat; et encore bien moins qu'elle en ait été l'instigatrice. Trop gros. Absurde. Et y songer serait encore une fois nier la capacité d'initiative des Africains.
Mais, autant qu'il m'en souvienne, rien n'a été fait, dit, pour la dénoncer. Je me vois mal ici, moi qui la dénonce tellement, regretter une absence d'ingérence. Mais il y a loin entre faire la leçon, morigéner, voire faire pression, et fermer complètement les yeux, détourner le regard, de fait se rendre complice voire tacitement encourager - tandis que dans ce pays se multipliaient les exclusions, les dénonciations, les discriminations, l'entretien et l'approfondissement des fractures entre populations, le climat et langage de haine au point que beaucoup d'observateurs, journaux et revues en témoignent, parlaient d'un pays au bord de la guerre civile.
Si on en parlait, c'était à propos des faits, des exactions, des comportements des uns et des autres. Jamais, autant qu'il m'en souvienne, pour analyser et nommer l'IVOIRITE comme une idéologie xénophobe et sectaire, nationaliste et identitaire, vectrice de violence et fondamentalement anti-démocratique.
A droite, on s'en satisfaisait, ravi et aveuglé par la mise à l'écart du "danger américain" représenté par Ouattara, et puis après tout c'était une affaire des Africains eux-mêmes (expression qui peut être très ambiguë, et chargée de condescendance méprisante).
Un homme de gauche comme je prétends l'être s'est beaucoup étonné (et l'a exprimé, en vain), que le Gouvernement de la France, mais aussi les partis d'opposition, soient aussi peu loquaces à l'égard d'un pays que nous soutenions et qui prônait ouvertement la "préférence nationale" défendue par le Front National que tous prétendaient combattre à mort chez nous. Y compris parmi les Socialistes. 
Les Socialistes chez qui, à l'époque, Laurent GBAGBO était la caution africaine. Ils avaient accueilli l'éternel opposant à Houphouët, qui se réclamait de la gauche, quand il avait été contraint à l'exil. Un accueil très solidaire et proche puisque un temps au moins Gbagbo a vécu chez le responsable Afrique du PS. Il maniait d'ailleurs impeccablement la rhétorique de la politique africaine du PS (2), et a noué des contacts amicaux avec une bonne partie du personnel politique de gauche.
Plus tard, en 1988, Houphouët permet à Gbagbo de rentrer d'exil ("l'arbre ne se fâche pas contre l'oiseau"), adoubant ainsi le leader du FPI comme premier opposant. Un rôle qu'il continue à jouer dans le contexte politique de la présidence de BEDIE, boycottant l'élection présidentielle, n'ayant pas de mots trop durs contre le pouvoir. Mais rien à propos de l'Ivoirité, dont il reprend et orchestre les côtés populistes et démagogues : souveraineté, promotion des racines, patriotisme (comme autant de déguisements de la xénophobie, de la discrimination, nationalisme sous couvert d'anti-impérialisme). Des convictions profondes, qui parviennent à se dissimuler encore sous une façade "de gauche", ou opportunisme politique ? L'Ivoirité débarrassait aussi Gbagbo de la menace de Ouattara, et ce populisme avait un fort soutien populaire sur lequel il convenait de surfer, ce qu'il a fait très habilement.
On connaît la suite : une fois Bédié renversé par Gueï, ce dernier est battu aux élections - ce qu'il refuse dans un premier temps de reconnaître - par un Gbagbo qui accède ainsi à la Présidence.

Gbagbo précurseur du "French bashing"

Au pouvoir, Gbagbo met en place une politique qui ambitionne de "permettre l'enrichissement de tous les Ivoiriens", prend des mesures sociales en particulier en matière de gratuité de l'éducation, mais sans grands moyens pour les mettre en œuvre concrètement. Sinon, si on en croit les sous-titres de Wikipedia pour la période, c'est "Amplification de la corruption", "Dégradation des infrastructures et insalubrité", "Violence et discriminations ethniques", à l'égard des populations du Nord du pays. Une politique de division, d'approfondissement des clivages internes qui aboutit à la rébellion de 2002 et à la partition de fait du pays.
Le discours de Gbagbo, de ses partisans du FPI se radicalise avec les circonstances et, s'il poursuit la rhétorique populiste et nationaliste, accentue les thèmes tribalistes et xénophobes et particulièrement à l'encontre de la France et de son néo-colonialisme. Une rhétorique amplifiée et mise en acte par le mouvement extrémiste des Jeunes Patriotes (4), emmené par le sinistre Blé Goudé, qui, dans la partie du pays contrôlée par le gouvernement de Gbagbo, se rend coupable d'exactions, de violences, contre les "Dioulas", réputés "mauvais Ivoiriens", et, dans les moments de crise aiguë, contre les intérêts français, y compris les personnes physiques. Une violence bien au-delà de ce qu'on a pu connaître récemment au Mali, au Burkina, et au Niger.
Tous les ingrédients du "French bashing" étaient déjà là. Accusations de néo-colonialisme, d'ingérence, de négation de l'identité culturelle, d'exploitation des ressources du pays, d'accaparement des richesses nationales, d'oppressions de toute sorte, et j'en oublie. Tout ce que l'on retrouve, mis au goût du jour, dans les rues et les réseaux sociaux de Bamako, Conakry, Ouaga, et Niamey désormais. Ainsi qu'ailleurs où les militaires putschistes n'ont pas (encore ?) pris le pouvoir.
On connaît la suite. Après avoir fait traîner pendant 5 ans la tenue d'élections, Gbagbo a été battu (selon toutes les sources et institutions sérieuses) par Ouattara, dont il a contesté l'élection. S'en est suivie une "crise", de plusieurs mois (2), en fait un affrontement militaire, qui - avec le soutien voire l'aide de la France - a abouti à la prise d'assaut du palais où Gbagbo s'était retranché, début avril 2011. OUF !

Des conclusions ?

Ouattara occupant le pouvoir, ce grand ouf! de soulagement a accompagné la fin de ce qui était un cauchemar, et n'était donc plus qu'une parenthèse. Les affaires allaient pouvoir reprendre comme avant.
Les excès commis pendant la présidence Gbagbo, les exactions commises par ses partisans pendant la "crise électorale", le retour à "la normale" ont permis de faire l'impasse sur les phénomènes apparus pendant cette période. Aucune analyse n'en a été faite, aucune conclusion tirée. On est restée dans la jubilation d'une victoire, qui semble se révéler à la Pyrrhus. 
D'où est venu en effet ce sentiment anti-Français qui s'est exprimé parfois si violemment, chez des extrémistes surtout certes, mais avec un assentiment massif ? Quelle part de vérité dans le sentiment de confiscation des richesses, de l'accaparement par l'Etranger des ressources su pays ? Comment cet Etranger peut-il être rendu responsable du marasme et de la mal-gouvernance ? du chômage endémique des jeunes et du manque de débouchés pour les étrangers ? Comment la marginalisation, le mépris, la non-reconnaissance, la non-considération, le rejet par l'Europe et la France (inaccessibles, portes closes), tout ces ressentiments confus mais puissants, peuvent-il être combattus ?
Toutes ces questions n'ont pas été approfondies et retenus par les responsables qui se sont réinstallés dans le confort des certitudes anciennes. Les analyses n'ont pas été faites, ou pas retenues. Et voilà  que toutes ces questions, quasiment à l'identique, reviennent avec force, retour du refoulé, à l'occasion du délitement poursuivi des systèmes issus des Indépendances.
Est-il encore temps de les reposer ? de proposer des analyses innovantes puisque les problématiques anciennes n'opèrent plus ? de mettre en place des stratégies nouvelles de rapports avec les peuples africains, avec lesquels on a tant à faire et partager plutôt que de les laisser se trouver d'autres alliances au futur trouble ? On ne doit jamais désespérer de rien.

Ainsi, au moment où on rend hommage à feu le Président Henri Konan Bédié, mais aussi où de nombreux articles se demandent comment la France (en particulier) a pu devenir aussi honnie en Afrique francophone, surtout parmi la jeunesse, convient-il de se souvenir de l'archéologie de ce "French bashing" et de ce corpus idéologique dit IVOIRITE, bâti pour viser un individu afin de maintenir au pouvoir un autre, qui a bénéficié de surcroît de la bienveillance de ceux-là même qui en seront les principales victimes, n'y ayant vu que du feu. La boîte de Pandore était ouverte ...

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(1) On se doit de souligner que cette politique est aux antipodes de celle de Félix Houphouët-Boigny qui s'est toujours montré protecteur des populations immigrées originaires des pays limitrophes sur  lesquelles, lui et ses planteurs, se dont appuyés  pour développer l'économie de rente du pays (même s'il n'a rien fait pour légaliser leur statut et leur accès à la citoyenneté).
(2) N'oublions pas que Gbagbo a été surnommé "le Boulanger" pour sa capacité à rouler ses interlocuteurs dans la farine. 
(3) Ces "Jeunes patriotes", dont le noyau originel émanait de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de la Côte d'Ivoire),, très puissante à l'Université d'Abidjan, dont Blé Goudé a été le secrétaire national.
(4) Plusieurs mois durant lesquels les milices Jeunes patriotes ont fait régner la terreur au Sud. La haute-commissaire adjointe aux droits de l'homme de l'ONU estime que « 173 meurtres, 90 cas de tortures et de mauvais traitements, 471 arrestations, 24 cas de disparitions forcées ou involontaires » sont attribuables aux partisans de Laurent Gbagbo en cinq jours seulement, rapporte Wikipedia. On peut lire aussi le témoignage que j'avais recueilli d'un Burkinabe résidant à Bassam et retranscrit sur la note de blog "VIOLENCES EN COTE D'IVOIRE" (lien : https://jenebatisquepierresvives.blogspot.com/2011/01/violences-en-cote-divoire.html ).
Il ne faut pas oublier pour autant que d'autres exactions ont été perpétrées par l'autre camp dans les zones qu'il contrôlait.

jeudi 5 janvier 2023

FOOTBALL, NATIONALISMES, DECOLONIAUX ET IDEES RECUES :

 

Pendant la dernière Coupe du Monde, comme précédemment d’ailleurs, on a vu circuler des messages douteux à propos de l’équipe de France et des « origines » de ses joueurs tendant à insinuer qu’il ne sont pas de « vrais » Français car migrants ou fils de migrants, ou que ce sont « en fait » des Africains que l’(ex- et encore) colonisateur exploiterait pour sa propre gloire. En réponse outrée, drapés dans la notion de citoyenneté, d’autres, cocardiers, n’ont voulu retenir que la francité des Bleus. Deux perceptions venues d’horizons qui se disent diamétralement opposés, mais que réunit la même conception raciale et communautaire.

Fallait aller y voir de plus près, en tout cas la curiosité m’en a pris.

J’ai donc entrepris de comparer 4 équipes – Sénégal, Maroc, Cameroun, et France - en puisant mes infos sur Wikipedia, selon les mêmes critères pour chacun des joueurs : le lieu de naissance, la nationalité (unique ou multiple), le club actuel et en plus, pour l’équipe de France, la présumée « origine » (présumant que, dans les autres cas, « l’origine » n’est pas différente du pays pour lequel ils jouent). La comparaison est intéressante, et les équipes fort différentes.

Le tableau complet est consultable ci-dessous, et on peut en tirer ses propres conclusions. Je n’en relèverai que quelques unes, qui sont les miennes.

D’abord, le nombre de joueurs nés en France. Ils sont 38% parmi les Sénégalais, 30% parmi les Camerounais, mais seulement 7% parmi les Marocains.  Pour autant seuls 46% d’entre ces derniers sont nés au pays, contre 65% des Camerounais, et 50% des Sénégalais – ce qui montre une bien plus grande diversité de l’émigration marocaine. Très peu jouent au pays, même s’ils y sont nés (mais davantage quand même dans ce cas).

Quand à l’équipe de France, même si on peut attribuer à 19 de ses joueurs des « origines » étrangères, dont 14 africaines (dont 6 hors ex-colonies) 93% sont nés en France et donc citoyens de plein droit (nous n’avons pas de demi-droit). Seuls 2 ont été naturalisés. On voit donc que naître et grandir en France permet à des enfants issus de l’immigration de percer et de faire carrière (ce qui vaut aussi pour les joueurs des autres équipes nés en France). Pour autant, seuls 5 de ces natifs sur 28  jouent dans des clubs français (dont 1 seul « de souche ») : le footballeur français semble être un bon produit d’exportation. Et la France une bonne fabrique d’internationaux.

On doit pouvoir tirer bien d’autres enseignements de ces tableaux, et certaines observations devraient pouvoir être nuancées si l’on prend en compte non pas l’ensemble des joueurs mais les 15 qui ont le plus joué lors des matchs, ce qui pourrait être plus significatif encore.

J’en garde pour ma part deux idées majeures. Il ne faut jamais se priver de regarder dans le détail, et ne pas se satisfaire d’impressions. Le football est devenu un phénomène global, et la notion même d’équipe nationale doit être relativisée, car largement diluée sinon obsolète. C’est bon de s’enflammer pour les siens, mais sans chauvinisme, et loin de tout nationalisme ni communautarisme.

TABLEAU DETAILLE POUR CHAQUE EQUIPE
Les abréviations sont aisées à comprendre.
Pour la nationalité, chaque joueur a par définition celle de son équipe. Elle est mentionnée quand le joueur possède cette seule nationalité. Quand il est double (ou triple) national, elle n'est pas répétée, mais remplacée par la mention x2 (ou x3). Quand ce n'est pas indiqué expressément, la seconde nationalité est française.




mardi 18 octobre 2022

Elections présidentielles 2022 au Kenya

 LE DESSOUS DES CARTES

En août dernier, le Kenya s’est donné un nouveau président, à l’issue d’un scrutin au score très serré (50,49% contre 48,45%, soit environ 230 000 voix d’écart sur 14,3 millions de votants), et ce sans violence aucune[1] contrairement à ce qu’on pouvait redouter, au souvenir de 2007[2] – il est vrai qu’il aurait pu en être tout autrement, le résultat eût-il été inverse.

Toutes les apparences d’un beau succès de la démocratie.

Raila ODINGA 

Les deux principaux protagonistes sont loin d’être des perdreaux de l’année.

 

   L’un, Raila ODINGA, est l’héritier de la dynastie qui règne sur l’ouest du pays depuis l’indépendance, son père ayant déjà joué avec Jomo Kenyatta, le père de la nation, le rôle de l’éternel opposant, qu’il continue donc avec brio, puisque c’est là sa quatrième défaite au moins à une élection présidentielle. 

Samuel RUTO


L’autre, Samuel RUTO (j’aurais dû dire Dr. RUTO, puisque sur Twitter il fait suivre son nom de PhD.) a été pendant les 10 dernières années le Vice-Président du sortant, Uhuru KENYATTA, qui ne pouvait se représenter. A noter que les deux concurrents, et le sortant avec, ont été les principaux protagonistes et meneurs des affrontements sanglants de 2008.

Des élections pacifiques, donc, au résultat très serré (moins de 2,14% d’écart), qui n’a fait l’objet de pratiquement aucune contestation. On serait donc dans un contexte politique apaisé, mature, avec une continuité du pouvoir, le second personnage de l’Etat succédant au premier qui quitte ses fonctions dans la sérénité. Idyllique. Mais il n’en est rien.

En effet, depuis plusieurs années, quasi depuis le début de leur second mandat, le torchon brûlait entre le Vice-Président et Uhuru Kenyatta, l’autre héritier de la dynastie leader des Kikuyus depuis l’Indépendance. Au point que, et cela en a surpris plus d’un, le Président Kenyatta en est venu à soutenir la candidature de Raila ODINGA, l’adversaire politique de toujours, contre celle de RUTO, et à faire campagne contre lui. L’alliance des dynastiques contre le nouveau venu aux dents longues, des vieux dinosaures contre une nouvelle génération, comme on voudra.

Ce renversement d’alliance aura-t-il permis de rompre le caractère ethnique très marqué jusque là du jeu politique kényan, d’accéder à un niveau de maturité où ce sont d’autres enjeux (choix de société, stratégies économiques, débats d’idées, ….) qui détermineraient le vote, plus que l’appartenance ethnique ? L’étroitesse du résultat pourrait en être un signe. Mais il faut aller voir le détail des suffrages.

Dans une note de blog intitulée « Démocratie en Afrique : faut-il vraiment élire les présidents ? »[3], datant de 2010, je m’étais interrogé sur la véritable nature des élections présidentielles sur le Continent, et dans une autre, « Démocratie en Afrique et égalité » [4], j’avais écrit, en 2017 :

“ Quand tel président est élu avec une majorité « normale » (entre 50 et 65%, pour simplifier), il faut regarder de plus près.  Très souvent, en fait, cette moyenne dissimule des scores de 85 à 90% dans certaines régions pour l’élu, et les mêmes dans d’autres pour le battu, faisant de l’élection davantage un recensement qu’un débat entre projets de société. Se sont exprimées les allégeances.”

Ces dernières élections au Kenya ont-elles démenti cette analyse ? Les Kenyans seraient-ils sortis du vote communautaire ? Il faut y regarder de près, en observant les résultats par Comté.


Les fiefs

Sans surprise, les deux candidats[5] font le plein dans leurs bastions, les zones dont ils sont originaires et où ils ont bâti leur puissance politique.

ODINGA cartonne dans le sud-ouest, dans les parages du Lac Victoria, auprès des populations essentiellement Luo et Luhya de l’ancienne province du Nyanza : 98% à Siaya et Homa bay, 97% à Kisumu, plus de 80% à Busia et Migori. D’anciennes alliances, liées à l’opposition à une hégémonie Kikuyu, lui permettent dans d’autres zones de trouver une majorité, plus modérée – à l’exception du pays Kamba Machakos, Makueni, avec 74 et 79% respectivement.

RUTO pour sa part fait le plein dans la Rift Valley, auprès de populations diverses réunies sous le vocable (et de plus en plus l’identité) Kalenjin. Ainsi dans Elgeyo-Marakwet où il mobilise 97% des suffrages, mais aussi Kericho et Bomet (95%), Nandi (91%), A noter que le nord de la Rift Valley est beaucoup plus tiède à l’égard de RUTO : 51 et 55 % pour Marsabit et Isiolo, et c’est même ODINGA qui sort confortablement majoritaire chez les Turkana et les Samburu (67 et 60%).. Il faut certes, comme en certains autres comtés, tenir compte des composantes politiques locales. Mais on peut remarquer que les places fortes de RUTO, qui ne sont pas faiblement peuplées, recouvrent les espaces où d’une part s‘est développée, sous le règne de Daniel arap Moi – qui en était aussi originaire – une agriculture moderne et dynamique (élevage, maïs, blé, légumes, fruits, fleurs que l’on trouve sur les marchés européens) qui a profondément transformé le pays, et d’où, d’autre part, les émeutiers armés protestant contre les résultats des élections, en 2008, ont violemment chassé, au prétexte qu’ils occupaient leurs terres ancestrales, les fermiers kikuyu que Jomo KENYATTA (le père) y avait installés. Un épisode auquel, de notoriété publique, RUTO n’est pas étranger, même si la CPI n’a pas retenu de charges contre lui.

On remarquera aussi, que, dans l’un et l’autre cas, les populations de ces fiefs ont voté en masse. Alors que la moyenne nationale de la participation s’est établie à 64,77%, on atteint plus de 70% en pays ODINGA[6], et au-delà de 75% en pays RUTO[7]. On vote en masse quand on tient un champion.

Des résultats plus balancés

Dans nombre de comtés, les résultats sont moins déséquilibrés, davantage partagés. Dans 15 cas, le vainqueur se situe entre 50 et 65% (10 en faveur d’ODINGA, 5 en faveur de RUTO). Cela constitue à peine 1/3 des comtés, mais c’est déjà significatif.

Serait-ce le signe de l’émergence d’un vote politique, fondé sur d’autres critères que le communautarisme et l’obéissance aux instructions des leaders de la communauté ?

C’est peut-être le cas, au moins lorsque les enjeux sont moins cruciaux, quand les allégeances sont moins fortes,.relevant d’alliances plus conjoncturelles et moins solides. Ainsi des grandes villes, où les populations sont mêlées, les classes moyennes éduquées plus nombreuses (Nairobi et Mombasa 57 et 58% pour ODINGA, Nakuru 66% pour RUTO, mais pas Kisumu).

Dans certains milieux, même modestes, d’après les témoignages que j’en ai reçu, on s’est ainsi interrogé : la volonté de renouvellement de génération, le rejet des sempiternelles dynasties, l’attrait d’un discours populiste, la crainte de l’inconnu, la fidélité à un courant, … mais bien rarement des questions de démocratie, et jamais l’honnêteté du candidat, ou son passé de violence. Parfois même, au sein de couples, les choix ont divergé.

Mais il faudrait pouvoir analyser dans le détail, avec une connaissance précise des particularités locales[8]. Ce que les acteurs politiques locaux ne doivent pas manquer de faire. Pour prendre un exemple que je connais un peu, le comté de Lamu a voté à 52% en faveur d’ODINGA, et donc à 46% pour RUTO, il faudrait examiner les résultats par bureau de vote pour établir s’il y a une grande différence entre les populations Swahili de l’archipel et les ruraux du continent, en grande partie des Kikuyus établis là par Kenyatta (le père) vers 1970 et qui ont prospéré depuis,

Le vote Kikuyu

Reste à examiner ce qui est un phénomène majeur, et à mon sens éclairant, en ce sens qu’il a déterminé le résultat du vote..

On l’a vu, le Président sortant, Uhuru KENYATTA, le fils du Père de la Nation, Jomo KENYATTA, l’héritier de la dynastie et du leadership sur le peuple kikuyu, avait décidé de soutenir la candidature  de Raila ODINGA, le leader des Luo et Luhya, les adversaires voire ennemis de toujours, en tout cas depuis qu’ils ont à faire ensemble dans la même entité politique. Ce renversement d’alliance, sinon surprenant, au moins spectaculaire, est le résultat d’un long processus visant, de la part de KENYATTA, à se débarrasser de RUTO, le partenaire encombrant du pacte passé entre les alliés – les complices ? – fortement impliqués dans les violences post-électorales de 2008. Tous deux ont été inculpés par le TPI et se sont fait élire ensemble en 2013 au sommet de l’Etat. D’évidence, le pacte prévoyait que le jeune Vice-Président – une génération les sépare - succèderait au Président, mais les stratégies ont divergé[9].

Pendant plusieurs mois avant les élections, KENYATTA a donc mené très activement campagne contre RUTO au moins autant que pour ODINGA, avec meetings et chausses-trappes en tout genre appelant les Kényans, et en particulier les Kikuyus, à voter pour le Luo ODINGA.

Qu’en a-t-il été ?

Les résultats, pour le coup, sont très surprenants. Dans les comtés kikuyu, c’est RUTO qui est arrivé en tête, et pas qu’un peu : Kiambu (73%), Meru (79%), Muranga (81%), Nyeri (83%), Kirinyaga et Embu (85%), Tharaka-Nithi (90%) ! C’est peu dire que les instructions d’Uhuru KENYATTA n’ont pas été suivies, il a nettement été désavoué par son peuple. Et il ne s’agit pas d’une adhésion par défaut, une masse d’électeurs ayant préféré se réfugier dans l’abstention plutôt que voter ODINGA, faisant ainsi gonfler le score de RUTO. Non, dans ces comtés, la participation a été au moins aussi forte que dans le reste du pays (Kyambu 65,2%, Meru 66%, Embu 66,6%, Muranga 68,1%).

Bien entendu, RUTO a eu l’habileté de choisir pour co-listier Geoffrey Rigati GACHAGUA. Un Kikuyu de la région du Mont Kenya, qui jusqu’ici a donné 3 de ses 4 présidents au Kenya, un enfant du comté de Nyeri. Un capitaine d’industrie comme lui, qui a bâti sa fortune tout seul, en parallèle de sa carrière politique. Un homme peu connu sur la scène nationale (le choix de RUTO avait surpris) mais de grande influence localement, dans une région qui est le plus grand réservoir de votes du pays.

Mais cela n’aurait pas suffi. Il faut voir là surtout que la voix du leader – surtout vieilli – ne suffit plus. Uhuru KENYATTA n’a pas réussi à entraîner son peuple contre ses habitudes, contre ses hostilités tenaces, contre les fondamentaux politiques qui l’ont structuré depuis l’Indépendance et même avant. Il a été perçu comme un traître à son peuple.Les Kikuyu l’ont rejeté, ils n’ont pas voté ODINGA, il ont, cette fois encore, voté CONTRE Odinga.

Cela devient une évidence : c’est le vote massif Kikuyu qui a fait pencher la balance, si faiblement que ce soit, en faveur de RUTO.

En conclusions

Le déroulement des élections au Kenya, et l’alternance (de fait) qui a marqué son résultat, s’est faite sereinement, malgré un résultat extrêmement serré, et c’est très heureux. Mais on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui se serait passé s’il en avait été autrement, à la lumière du passé des protagonistes.

Même si quelques signes d’une évolution sont perceptibles, les élections (en tout cas les présidentielles) restent très largement marquées par des allégeances communautaires, les votes déterminés par des appartenances au groupe ethnique.

Mais la leçon principale reste que le leader n’est rien s’il ne porte la vision, les représentations des siens, qu’il ne peut prendre à contre-pied.

Et donc qu’il y a encore du chemin à faire dans la recherche de l’unité nationale. RUTO permettra-t-il d’avancer dans ce sens ?



Source du fond de carte et données, avant traitement: Independent Electoral and Boundaries Commission,
via
 : https://www.bbc.com/news/world-africa-62444316 pour le fond de carte. 

Notes:

[1] Le vaincu a certes protesté, introduit des recours, mais tout est resté juridiquement correct, et l’arrêt de la Cour Suprême a été respecté.

[2]  Bilan des violences après  les élections de décembre 2007 :  1500 morts et environ 300 000 déplacés.

[5]  Pour être exact, deux autres candidats étaient en lice, David Mwaure WATHIGA et George Luchiri WAJACKOYAN. Ils ont recueilli respectivement 0,23 et 0,44% des voix.  …

[6] Par exemple, 66,8% à Busia, 70,8% à Siaya, 73,8% à Homa Bay, pour ne citer que ces comtés.

[7] Par exemple, 77,4% à Baringo, 77,9% à Elgeyo-Marakwet, 78,5% à Kericho, pour ne citer que ces comtés.

[8]  En même temps que leur Président, les Kényans ont élu, dans chaque comté, leurs gouverneurs, leurs assemblées locales, et autres, sans oublier les membres de l’assemblée nationale et du Sénat.  Il est fort probable que les types d’élection influent l’une sur l’autre, et il faudrait vérifier dans chaque comté  s’il y a des discordances entre les niveaux locaux et nationaux, entre le vote pour le Président et pour le député.

[9]  L’analyse des raisons de cette rupture reste à faire, au moins à ma connaissance  - je suis loin d’avoir lu toute la littérature produite à ce sujet. Mais à mes yeux, au-delà de la différence de génération, de la différence de culture et d’éducation, de respectabilité entre l’« aristocratie » locale et le jeune loup venu d’en bas,  il faut aller chercher du côté de la contradiction entre élite d’affaires bien établie et capitaines d’industrie aux dents longues, qui veulent combler leur retard.



mardi 26 avril 2022

REPARTIR A GAUCHE 5 : sur l'écologie

 

PAS D'EXALTATION ARDENTE, DES BONNES PRATIQUES

L’écologie, c’est de l’ECONOMIE.

Pas de la punition, ni de la privation, ni de la contrition, ni de l’accusation, ni de l’incantation, ni de la division, ni de la restriction, ni de la frustration, ni de l’ostentation, ni de la culpabilisation, ni de l’exclusion, ni de l’abandon, ni de l’appréhension, ni de la diabolisation, ni de la pétition, ni de la dénonciation, ni de la lamentation, ni de l’inquisition, ni de l’appréhension, ni de la persécution, ni de la gesticulation, ni de l’affliction, ni de la discrimination, ni de la réduction, ni de la récupération, ni de l’imposition, ni …

C’est vivre mieux ; RESPONSABLE, donc mieux.

 

REPARTIR A GAUCHE 4 : renouveler la démocratie

DES SOLUTIONS NOUVELLES, PAS DE FAUSSES LUNES

Il y a un besoin, chez chacun, de participer bien davantage aux délibérations, aux décisions qui concernent notre vie. La représentation politique existante, les rendez-vous de loin en loin, ne suffisent pas. Il faut améliorer l’implication, animer les débats. Reste à savoir comment.

Le référendum (d’initiative populaire ou pas)

C’est ce qui a la côte, l’étendard que l’on déploie, chez Le Pen comme chez Mélanchon, le parangon de ce qui rendrait la parole au peuple. Sauf à accepter le caractère démagogue de cette dernière affirmation, mieux vaudrait y regarder à deux fois. Et distinguer largement.

Le référendum Vème République

Il est prévu dans notre Constitution actuelle, et beaucoup ont eu lieu. Avec plus ou moins de bonheur.

Je ne suis pas juriste, encore moins constitutionnaliste, mais en gros … Le référendum est l’outil qui permet de soumettre au peuple souverain des décisions majeures, qui ont besoin de sa validation pour être légitimées.

Ainsi d’une révision de la Constitution, si celle-ci ne trouve pas une majorité des 2/3 des deux assemblées réunies pour l’approuver, ou si le Président juge l’importance si cruciale qu’il est besoin du recours au suffrage universel. Pour autant, la question posée aux électeurs doit être approuvée dans les mêmes termes par les deux chambres, et ne peut être que OUI ou NON.

De même en cas de traités internationaux, en particulier impliquant la souveraineté du pays.

Un instrument adapté … mais seulement quand la situation est simple

OUI ou NON tranchent. Ainsi par exemple lorsqu’il nous a été demandé d’approuver l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie, ou l’entrée de la Grande-Bretagne et quelques autres pays dans la Communauté Economique Européenne. Au fil du temps d’ailleurs, la participation à, et donc l’engouement pour, ces exercices formels, obligatoires mais de peu d’enjeu, a décru. Idem pour la réduction du mandat présidentiel à 5 ans.

C’est autre chose quand l’enjeu est complexe. Ainsi du Traité de Maastricht où NON a rassemblé le refus total de l’Europe, mais aussi l’Europe oui mais pas comme ça, OK mais sans telle clause, et d’autres encore. Pire, le référendum de 2005 sur la possibilité d’une constitution européenne, sujet extrêmement complexe, difficilement compréhensible d’ailleurs, et où les positions se sont figées sur des points secondaires, voire surtout sur le soutien, ou non, au gouvernement – ce qui avait peu à voir. Quand il n’est pas simple, le recours au référendum à tend à devenir un plébiscite, un prétexte à relégitimer un pouvoir en place, ce qui est un total dévoiement. On a en mémoire le référendum sur la décentralisation, proposé par De Gaulle, et qu’il a perdu, non tant pour le projet qui pouvait être très fécond, mais par le désir de changement dans le pays.

Ainsi, lors des trois derniers mandats, les Présidents se sont bien gardés de soumettre des réformes au référendum, tant ils étaient conscients que les Français ne se prononceraient pas tant sur la question posée, que sur eux et leur politique.

Référendum ne dit pas démocratie : danger

Le référendum serait a priori démocratique. Car expression du Peuple. Et une candidate malheureuse de brandir le syllogisme : qui ne fait pas de référendum a peur du peuple, n’est pas un démocrate. C’est largement à nuancer.

On l’a dit, la référendum tourne vite (a tendance à tourner) au plébiscite. La question posée disparaît derrière un rejet de la politique d’ensemble de qui la pose. Ou au contraire il est fait appel, à travers une approbation, à une validation du pouvoir – possiblement pour vaincre un obstacle institutionnel à des pouvoirs désirés. Qui peut s’opposer, après, à qui a obtenu un aval populaire ?

Autre aspect : la démocratie n’est pas la dictature de la majorité. Un référendum, sans garde-fou, peut faire accepter des mesures discriminatoires, clivantes, à l’égard d’une partie de la population qui y perdrait ses droits légitimes défendus par la Constitution. Un référendum sur le voile islamique ? Sur la viande casher ou hallal ? Sur le mariage homosexuel ? Sur la longueur des jupes ?

On nous en annonce un sur la fin de vie – sujet profond. OUI ou NON à quoi va-t-on être appelés à répondre ? Sur des questions infiniment délicates, toutes en nuances et cas spécifiques, c’est le consensus le plus large qui est à rechercher, non le couperet référendaire. Ou alors pour enregistrer le consensus élaboré ? A quoi bon ?

Au final, le référendum, recommandé en soi, utilisé à tire-larigot, et non avec toutes les précautions nécessaires, est le joujou des démagogues. Il est chéri de ceux qui s’auto-proclament représenter le Peuple, entité mythique, indistincte, dont ils seraient l’expression contre les élites, les puissants, les riches. Ce sont généralement des individus, des leaders qui s’arrogent ce rôle, souvent avec un talent tribunicien – pas des dirigeants de mouvement populaires, même s’ils peuvent recueillir l’assentiment de foules et de masses d’électeurs. Quousque tandem, Catilina, …

Dynamiser l’initiative populaire

Le référendum ainsi nommé tombe sous les critiques de ce qui précède. Mais pas pour autant l’initiative populaire.

En effet, il serait utile que des citoyens partageant en nombre (à déterminer) une préoccupation, en fassent état collectivement (quelle que soit l’initiative de départ qui le suscite, et qui le mette en forme). C’est la bonne vieille pétition, qui pourrait retrouver une nouvelle jeunesse.

Une contrainte institutionnelle à traiter un sujet largement soutenu

Il serait bon qu’une telle initiative, si elle atteint le nombre dit, provoque obligatoirement, institutionnellement, une attention et un traitement de la question, sous une forme ou une autre – et pas un référendum national, par OUI ou NON. Ce peut être évidemment un débat parlementaire, avec obligation d’aboutir, de se prononcer (pas d’approuver). Mais il y a d’autres approches possibles – qui n’excluent pas le passage par le Parlement, in fine.

Les consultations citoyennes

La formule de l’essai qui a été fait à propos de l’environnement a des aspect séduisants : tirage au sort des membres, travail approfondi, auditions d’experts, recherche de consensus, élaboration de propositions concrètes. Elle a aussi montré ses limites. Etendue excessive du champ de réflexion, multitude des propositions, non hiérarchisées, flou voire malentendu sur leur devenir : qu’est-ce qui est contraignant pour l’exécutif, étant entendu que le Parlement reste maître de l’élaboration de la Loi.

N’empêche, la formule pourrait ête multipliée, en particulier sur des questions de société. Mais des questions plus ramassées, avec une restriction à 10 à 20 propositions, par exemple, hiérarchisées, distinguant le réglementaire et le légal.

Un produit d’une telle consultation qui continuerait à être controversé, ou qui aurait généré clivage plutôt que consensus, pourrait faire l’objet d’une consultation plus vaste.

Une consultation d’un échantillon de 2 à 3 millions de citoyens

Une idée, une proposition, dans l’idée de faire participer le grand nombre à la prise de décision, mais sans la solennité, la raideur, les embûches, et l’inévitable remise en cause du pouvoir qui va avec le référendum « classique ».

On en a les possibilités techniques.

On peut tirer au sort une quantité importante de citoyens – répartis sur le territoire – et leur demander de se prononcer sur un sujet en débat.

Pas forcément par OUI ou NON, d’ailleurs : le système vote au jugement majoritaire peut être ici bien plus fécond.

Vote électronique, manuel pour ceux qui préfèreraient, ouvert sur une semaine par exemple, ce ne serait pas un grand drame national, mais le sentiment de tous d’avoir été (ou pu être) consulté ne serait pas négligeable.

Les possibilités locales

Compte-tenu de tout cela, ces implications de citoyens peuvent aussi trouver des applications locales – pas besoin de la dramatisation nationale. Au niveau des communes, métropoles ou départements, régions. Selon les questions posées, les problèmes qui se posent.

Et à ce niveau peut être envisagé la possibilité de révocation d’élus, selon des procédures bien encadrées – ou pourquoi pas même une confirmation à mi-mandat ?
Ainsi, s'il s'agit du niveau national, si besoin était (demande de X% du corps électoral) pourrait-il être demandé au suffrage universel si, OUI ou NON, les citoyens souhaitent le départ du Président, un changement de gouvernement, ou la dissolution de l'Assemblée Nationale - un référendum qui alors répondrait bien à la question posée.

lundi 25 avril 2022

REPARTIR A GAUCHE 3 : les valeurs, pas la doxa

PREALABLE A UN REDEPART FECOND

 Qu’il faille reconstruire un mouvement politique à gauche, sur les ruines de l’existant, rassemblant toutes les sensibilités, une fois dissipées les impasses, blocages et archaïsmes fussent-ils somptueux, sur une base républicaine, sociale, écologique et réaliste, est un truisme. Tout un chacun à gauche le proclame.

Mais peu semblent avoir pris la mesure de la refondation nécessaire, d’une remise à plat complète, fondée sur une analyse d’une réalité nouvelle qui a muté par rapport aux situations qui ont fait les représentations et les imaginaires de la gauche depuis un siècle.

Non pas faire table rase, mais revenir aux racines, aux fondamentaux. Marx ne dit pas autre chose : lors qu’il propose des solutions, c’est à partir de l’analyse faite de la situation – et qui ne valent que par rapport à cette situation. Qui, si elle change, exige remise à plat et élaboration d’autres solutions. Hors tout dogmatisme, en élaguant tout ce qui est devenu obsolète, fût-il glorieux et sujet à nostalgie, voire rassurant.

Remettre à plat, déconstruire de fausses certitudes, rebâtir un corpus théorique apte à permettre le changement, l’évolution des rapports de force, est un impératif, bien avant la réflexion sur la stratégie et les appareils politiques.

La doxa

J’entends par là ce dont, quand on se dit de gauche, quand on se sent de gauche, on a la tête pleine.

Ce sont les grands moments de notre histoire, les luttes passées, victorieuses et dramatiques, soulèvements, grandes grèves, avancées sociales majeures, 1789, la Commune, le Front Populaire, les braves soldats du 17ème, les martyrs de la Résistance, le CNR, 1968 aussi, et toutes les libérations qui ont suivi, qui sont en cours. De quoi nous exalter, et il y en a besoin. Se sentir héritier, et obligé.

Cela va avec des jugements, des appréciations, liées à la mise en acte des valeurs de gauche. Largement partagés, pas toujours identiques. Méfiance à l’égard des religions, qui peut aller jusqu’à l’anticléricalisme, du fait de l’histoire de notre République. Rejet du riche et culpabilisation de l’enrichissement, car associés à bon titre à l’exploitation et la misère. Hostilité au marché et désir de régulation politique. Héroïsation de la grève, et mépris du compromis, que l’on préfère se voir imposer qu’accepter. Rejet du licenciement, dans l’absolu. Peu de considération pour les contraintes économiques – l’argent est là, ça fera l’affaire. Valorisation de la stabilité, le changement étant menace, et dénoncé comme précarité. Etc. Pour ne mentionner que ce qui me vient sur l’instant à l’idée.

Ces jugements, devenus réflexes, ont leur histoire, et ainsi leur valeur. Mais, s’ils ont pu avoir leur justesse, ou leur efficacité, à une époque, ils peuvent se révéler contre-productifs lorsque la réalité a changé. Ils pèsent néanmoins sur les représentations, et les actions menées.

On en revient au poison du « c’est de gauche », abordé plus haut, qui fixe et entretient une doxa en retard d’une guerre. Et donc stérilisante pour une action victorieuse. Elle a même instruit des procès, coupé-court des tentatives de modernisation et de dépassement : Mendès n’a pu mettre en œuvre ses vues, Rocard a été ligoté, les Frondeurs ont largement contribué à faire tourner le quinquennat Hollande en eau de boudin.

Tout remettre à plat

Il faut donc, hardiment, faire l’inventaire de ces a priori et représentations, eussent-elles fait notre identité, notre univers mental et social. Les questionner. Les revisiter.

Non pas en tant que telles, mais APRES l’indispensable analyse approfondie de la réalité, dont le produit décidera des grandes orientations des luttes à mener, des stratégies à adopter, et du corpus idéologique adapté au contexte nouveau, où des éléments de la doxa ancienne pourront être repris, recyclés, revisités, adaptés, modifiés, ou renvoyés à l’Histoire.

Ce n’est donc pas table rase du passé, mais recréation en adéquation avec la réalité advenue, ou en voie de l’être.

J’ai la conviction que c’est faute d’avoir effectué ce travail depuis si longtemps, faute de s’être donné une théorie adéquate face à un monde qui a changé, que nos gauches, communiste et socialiste, se sont abîmées, dans le dogmatisme et le rabachage de leur doxa obsolète.

Résultat : le champ de ruines actuel, où prétend représenter la gauche un mouvement démagogue, attrape-tout mécontentement, purement protestataire, ce que la tradition de gauche, depuis la Révolution, a toujours combattu.

REPARTIR A GAUCHE 2 : petit kit d'analyse politique

 

MON MARXISME A MOI

Sans prétention, mais pour mettre en ordre mes idées, que je trouve opératoires. Cela résulte de ma pratique politique des années 70, de la lecture attentive de Marx et des althussériens, explosés au choc de la réalité concrète vécue (l’Ouganda d’Idi Amin et ensuite), confortée tant par les situations en France et en Afrique, et l’observation aussi des phénomènes naturels.

Ca pourrait-il servir dans notre futur proche, pour proposer un cadre d’analyse à une gauche en reconstruction ?

Marxisme invétéré :
tout est histoire, structures animées de contradictions

Toute société est une structure qui organise sous forme de mode de production les forces productives dont elle dispose. Dès lors que celles-ci deviennent tant soit peu complexes, le mode de production définit un rapport de forces entre les acteurs sociaux, une contradiction que l’organisation sociale va tendre à stabiliser, mais dont l’évolution conflictuelle est la vie même de la structure, jusqu’à sa disparition.

La contradiction est entre classes sociales, dominante et dominée, opprimante et opprimée, exploiteuse et exploitée.

Sur les classes sociales

Mais une classe sociale n’est pas un groupe, un ensemble d’individus : c’est une structure complexe. Une structure qui, pour accomplir son rôle dans le mode de production, dans l’organisation sociale, s’organise en fonctions, distinctes et articulées, formant appareil. Ainsi la classe capitaliste ne compte pas que les détenteurs de parts d’entreprise, mais aussi les grands managers, les financiers, les acteurs du politique et des forces qui la sécurisent, etc. De même, la classe ouvrière, ce n’est pas seulement l’ouvrier à sa chaîne de production, mais l’employé qui organise le travail, ceux qui assurent la reproduction de la force de travail, etc.

Donc une classe sociale est une structure de fonctions, où les individus viennent s’insérer comme supports de ces fonctions, dont ils assurent l’exercice. Et un même individu peut participer de plusieurs fonctions, et même de fonctions relevant de classes différentes, et se vivre, se représenter comme partageant les intérêts d’une classe autre que celle où il se trouve « fonctionner ».

De l’évolution des structures contradictoires

Dès lors qu’elle s’est constituée – et ce indépendamment de sa génèse – une structure se met à produire, à établir des rapports de force, à générer des conflits et des mécanismes de stabilisation qui assurent sa durabilité en absorbant tant que faire se peut les dynamiques antagoniques qui l’animent.

Autant de facteurs qui évoluent, plus ou moins rapidement, et qui constituent l’histoire de la structure, son évolution, jusqu’à sa disparition.

Les antagonismes au sein du mode de production – la lutte des classes – peuvent être plus ou moins violents, susciter des affrontements, rébellions, renversements, où la classe dominée inverse le rapport de force et prend le pouvoir sur la classe dominante. C’est le schéma classique de ce que l’on nomme des révolutions, dans l’imaginaire politique. Et on y va de 1789, d’Octobre, etc.

Mais il faut y regarder de plus près. Et distinguer.

Les bouleversements

L’éviction, voire l’élimination, de la classe dominante par la classe exploitée a bien entendu des effets majeurs sur l’organisation des sociétés. Mais dans la mesure où cela ne s’accompagne pas d’un changement du mode de production (de la mise en œuvre des forces productives), les fonctions inhérentes au mode de production – et donc à la division du travail dans les classes sociales – restent indispensables, et donc ont tendance, sous d’autres formes, certes, mais inexorablement, à se reproduire, et à reconstituer l’ordre ante, parfois encore plus injuste ou violent.

L’exemple le plus criant est peut-être le socialisme à la soviétique, qui au fil du temps a reproduit une élite privilégiée, exerçant les fonctions de classe dominante, certes non formellement propriétaire du capital, mais détentrice de la richesse et des avantages, exploitant une classe laborieuse, encore davantage dans la mesure où une partie, pour des raisons politiques, était asservie. Un autre exemple me semble être donné par Haïti. Les esclaves se sont héroïquement soulevés contre leur condition, et ont vaincu les colons, qu’ils ont chassés. Mais très vite les nouveaux dirigeants ont tendu à remplacer ces derniers, sans moins d’exploitation ou de cruauté. Le nombre de morts sur les chantiers du Roi Christophe est affligeant.

Ainsi, dans la plupart des cas, le renversement des termes de la contradiction aboutit in fine à la reproduction des termes d’exploitation antérieurs, avec remplacement des acteurs, et changement des formes.

La révolution

C’est à mes yeux un tout autre phénomène.

Ici, ce n’est pas un des termes de la contradiction qui remplace l’autre : c’est une structure nouvelle qui se met en place, sur les ruines de l’ancienne. Cela va avec une autre mode de production (ou une version structurellement nouvelle de celui-ci), basé le plus souvent sur une modification des forces productives. La structure ancienne s’épuise, ne fonctionne plus, éclate ou s’étouffe sur ses contradictions. Et à côté, une structure nouvelle, en gestation parfois depuis longtemps, et jusque là bridée, réprimée par l’ancienne, s’impose comme dominante dans l’organisation sociale qu’elle pilote et organise désormais à ses fins.

Par exemple la révolution française de 1789, dont l’essence est moins prise de la Bastille, Terreur, Empire, que la destruction de l’appareil féodal nobiliaire et l’avènement de la société bourgeoise, fondée sur l’Etat de droit et la liberté, en particulier de la propriété et du commerce.

Deux autres exemples, à mes yeux en cours.

En Afrique,

Le système de la rente prédatrice, héritée de la colonisation et en symbiose avec le système capitaliste mondial (dont il ne participe pas), fondée sur l’exploitation des ressources exportables, dont le revenu est ponctionné par une élite à partir de ses positions dans les appareils politico administratifs (corruption institutionnelle si on veut pour simplifier), est à l’agonie et s’effondre. A commencé à apparaître dans ses marges – et se renforce de la faillite de l’ancien système – une dynamique entrepreneuriale privée, locale, axée sur la valorisation des productions et leur commercialisation sur des marchés régionaux. L’éclosion de ces nouvelles forces sociales se heurte à l’existence de l’ordre ancien, et la lutte se déroule pour imposer un ordre nouveau, propice à la nouvelle structure.

Chez nous

Une mutation profonde aussi est en cours. Le système capitaliste qui nous régit, depuis le XIXème, n’est pas un long fleuve tranquille. Il est agité de phases, de mutations : il se transforme, mais aussi il mue, structurellement : un système remplace un autre.

Ainsi, pour faire court, une structure s’est constituée à la fin de la 2ème Guerre mondiale, fondée sur la production de masse, la concentration des entreprises, l’exploitation des ressources bon marché des pays (ex)colonisés, une atténuation des conflits avec l’Etat-providence. Sur une base de stabilité qu’on a pensé garantie : on reste dans une même entreprise pérenne, on garde le même boulot avec une évolution limitée mais une progression acceptée, la protection sociale garantit l’absence de catastrophe et promet un certain ascenseur social, etc. 1968 a donné un coup de jouvence à ce qui était issu du CNR. Très belle période, dont ma génération avons joui.

A partir des années 80, mutation des forces productives, et tout se met à changer, se dégrade, s’effondre. La finance domine le capital industriel, choc des matières premières, nouvelles technologies, nouveaux acteurs productifs qualifiés font irruption sur le marché, j’en passe. La mouture post 1945 du mode de production entre en crise, s’y enfonce. Une nouvelle version émerge, étouffe l’ancienne, s’y substitue progressivement, avec la paralysie des régulations sociales existantes, la faillite des productions vieillies, et l’exigence (souvent non satisfaite par tétanisation) de formes d’organisation nouvelles.

Nous y sommes : tandis qu’une partie de la société est entrée dans la nouvelle ère, y prospère et pousse aux mutations corollaires, une autre se fige dans la crainte du changement, de la perte de ses avantages, de son rang, ou dans la peur de ne plus trouver de place acceptable. Nous votons dimanche pour cela.

C’est bien un changement de système qui est en cours, une révolution. Et le clivage face au « monde nouveau » traverse les classes sociales de l’état ante, rebat les cartes, adieu les forces politiques d’avant, tout se recompose, ou tarde à le faire. Pour jargonner un peu, la contradiction principale (capital-travail) devient un temps secondaire par rapport à la contradiction entre ordre ancien-organisation sociale nouvelle, qui traverse les classes d’avant. Période de transition, pendant laquelle les cartes sont rebattues, et qui ne sait pas s’y adapter (la gauche en effondrement en l’occurrence) laisse à l’autre l’initiative de la nouvelle architecture.

A bien noter :

Que font les acteurs sociaux ?

Dans le cas d’une révolution, telle que définie ci-dessus, on assiste bien, toujours, à une nouvelle donne. Les comportements des acteurs divergents, quelle que soit la classe sociale dont ils participent. Des fonctions disparaissent, de nouvelles apparaissent, et les individus vont se déployer – selon souvent des critères personnels, aux déterminations plurielles  – entre elles. Ou échouer à le faire.

Tenants aussi bien de la classe dominante que dominée, il en va de même. Certains s’adaptent, mutent, savent s’insérer dans les nouveaux rapports sociaux (favorablement souvent). Certains se trouvent incapables d’adaptation, s’accrochent à la situation ante, font tout pour la conserver, ou s’enfoncent dans sa nostalgie. Ainsi des aristos de l’Ancien Régime. Certains se sont coulés dans la bourgeoisie désormais dominante. D’autres se sont ratatinés sur le souvenir de leur gloire fanée, avec tout au plus le militaire comme exutoire des descendants.

Une société ne se résume pas à la formation sociale dominante

Une société est une réalité complexe, qui ne se réduit pas à 1 mode de production. Celui-ci, qui y domine certes, ne concerne que la partie de la société qui est partie prenante du mode de production en question, de la mise en œuvre de ces forces productives particulières.

Par exemple, dans l’Afrique coloniale et post-coloniale, seules sont marchandises les productions qui entrent dans le circuit d’échange essentiellement extraverti, et générateur de rente. Une énorme partie de la production, vivrière, artisanale, dont la grande majorité de la population sont les acteurs, se situe hors du mode de production dominant. Ailleurs, peuvent exister aussi des vestiges de modes de production éteints, ou des prémices d’organisations nouvelles. De toute façon marginalisés, hors-jeu.

Et ces éléments tenus en marge dans un mode de production particulier peuvent fort bien de retrouver structurellement intégrés dans un mode de production nouveau émergeant, ou abouti – auquel ils peuvent servir de ferment d’éclosion.

Conséquences pratiques

Analyse concrète de situations concrètes

Je ne suis donc pas léniniste, mais cette phrase du grand camarade a du sens.

L’ANALYSE, pas la DOXA

L’essentiel, l’impératif, est de produire l’analyse fine d’une situation sociale donnée à un moment donné, de l’évolution de ses dynamiques conflictuelles, et surtout, quand c’est le cas, de son processus de disparition – avec le repérage de la germination éventuelle d’une autre structure. C’est le cas dans les périodes de transition.

Quand la formation sociale est stable (cela ne signifie pas amorphe, mais dans un rapport de forces conflictuel qui assure sa reproduction dans le temps), les forces à l’œuvre produisent des formes d’organisation, des représentations correspondantes à leurs aspirations, à leurs stratégies – un système de valeurs, des récits, une idéologie – qui répond à leur situation de lutte dans ce contexte. Cette doxa, vite essentialisée, est un outil essentiel dans la lutte. Elle structure les esprits, mobilise, crée identité et conscience de soi – conscience de classe.

Mais – et il en va toujours ainsi quand la pensée vivante devient dogme – son aspect historique, conjoncturel, est oublié, voire nié, au profit d’une essentialisation erronée. Et elle a toute chance de n’être plus opérante, telle quelle, dans une structure nouvelle, dans une autre formation sociale qui aura supplantée celle qui l’a fait naître. Or, s’en tenir à la doxa ancienne aveugle sur la réalité nouvelle, dévie l’action vers des errements.

C’est de gauche ?

Le piège, absolu, le poison insidieux. La question, ou plutôt l’injonction, a pourri nos 20 dernières années, a poussé le quinquennat Hollande dans la paralysie ni faite ni à faire, a bloqué le rassemblement d’une force politique de changement, dotée d’un discours adapté et en adéquation à la réalité du monde.

RIEN n’est de gauche en soi, dans l’absolu, lorsqu’il s’agit de mesures, de dispositifs politiques ou sociaux. Tout cela est conjoncturel, lié à une situation historique. Ce qui perdure – qui n’est pas sacré, mais qui fait l’essence d’une prise de position – c’est : cela correspond-il positivement aux dynamiques en cours, cela contribue-t-il à faire émerger le monde nouveau de la meilleure des manières, et comment, dans cette structure conflictuelle faire prévaloir des organisations qui permettent la justice, une qualité de vie, la sécurité, la liberté et la possibilité de s’épanouir dans une société pacifiée (non sans conflits, mais régulés, supportables). Ce qui perdure, ce sont les valeurs.

Alors si on emballe ce que je viens d’énumérer, non exhaustivement, dans un package qu’on nommera « la gauche », il s’agira de promouvoir les mesures adaptées, non héritées d’une doxa ancienne révolue, mais adéquates pour mettre en œuvre ces valeurs dans un contexte nouveau, différent. Quitte à ce qu’émerge, dans la pratique, une doxa renouvelée.

Une fois tout remis à plat.

Les références, citations, etc. qui m’avaient amené à cette proposition théorique se trouvent dans « L’Afrique en Transition », Mawazo, Makerere University – 1983 (https://joelbertrand.wordpress.com/lafrique-en-transition/ ).